La chronique est un art. Quiconque lit le nouveau recueil de Jean-Simon Gagné, journaliste au quotidien Le Soleil depuis 1998, en conviendra. Esprit fin, Gagné présente ici un pot-pourri de 101 petites perles caustiques, écrites à grand renfort d’humour, dont il maîtrise d’ailleurs de main de maître tous les procédés et rudiments. Les textes sont émaillés de citations, vraies ou fausses, de courts dialogues truculents, de comparaisons absurdes et de micro-récits savoureux. C’est qu’il a du mordant, le crocodile.
Gagné gratte là où ça démange. L’auteur cultive la dérision avec aplomb et les cibles ne manquent pas. Il y a bien sûr les chouchous, ceux que l’on retrouve avec plaisir tout au long du recueil. Régis Labeaume, omnipotent maire de Québec, ainsi que ses plans vertement critiqués de rajeunissement de la ville, occupent particulièrement la mire. C’est toutefois Jean Charest, pour ses nombreuses volte-face et sa gestion catastrophique de la grève étudiante, qui obtient la palme peu enviable du plus malmené. Bien qu’il trouve la majorité de ses sujets sur les scènes politiques locale, provinciale et nationale, l’auteur ne dédaigne pas envoyer quelques flèches au niveau international. « Notre copain Khadafi » et « La succursale de l’enfer » donnent l’occasion de changer sensiblement de ton et d’adopter l’ironie douce-amère du désabusement : « […] la situation est désespérée, mais pas sérieuse », écrit d’ailleurs Gagné, empruntant l’expression à Karl Kraus.
Les chroniques réunies dans Heureux comme un crocodile aux îles Caïmans ont été rédigées sur une période d’environ quinze ans. La grande majorité traite cependant de questions toujours fumantes (la Charte de la laïcité), d’autres un peu plus lointaines (Nathalie Simard et l’affaire Guy Cloutier). Les sujets sont variés et la formule minimaliste n’autorise aucun essoufflement. Chose plutôt triste, l’actualité est le caractère de ce qui, précisément, est actuel, et ce type de publication souffre très mal le passage du temps. Gagné en est lui-même conscient et l’évoque dans son introduction. À lire au plus vite donc, pendant que c’est chaud.