« Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître », disait le Cid. On en dirait autant de Gilles Tibo qui fait avec ce roman une superbe entrée en littérature. Déjà apprécié pour son ample production d’illustrateur, Tibo présente, en effet, un texte d’une rare puissance et d’une envoûtante beauté. Comme un vieux routier de l’écriture, il fait converger tous les éléments vers la stylisation d’un destin. Pour mieux enfermer son pauvre héros dans sa solitude, Tibo le baptise Gravelin et le lie au roc et au monde du minéral. Il le prive de langage et l’interdit de communication. Il l’enclôt dans une île, à distance infranchissable de tout. Il lui fait redouter l’eau qui, seule, pourrait le porter jusqu’à la rive où, peut-être, il retrouverait Élisabeth qu’il aime malgré ses calculs.
Le livre se déroule sans dialogue. Il réduit toutes gens à un amas d’instincts primitifs, brutaux et silencieux. L’écriture, fidèle elle aussi au projet, est compacte, dense, minérale. De superbes expressions ponctuent le déroulement et contribuent, elles aussi, à ne retenir de la vie que ses bruits élémentaires. Comme celle-ci, récurrente : « … tous les animaux de son corps l’abandonnèrent ». Et Gravelin rêve de revenir en arrière « lorsque rien n’était dit, lorsque rien n’était nommé, lorsque la vie, tout entière soumise aux grandes forces qui gouvernent le monde, se vivait simplement au fil des jours ». Magnifique.