Après Saltimbanques (2000) et Kaléidoscope brisé (2001), Le magicien est le dernier volume de cette trilogie de Sergio Kokis. Les deux premiers romans racontaient l’histoire des forains du Cirque Alberti, fuyant l’Italie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, puis errant, de rêve fou en espoir brisé, dans une Amérique Latine dictatoriale et baroque. Au cours de cet exode, certains membres de la troupe se sont arrêtés en chemin, d’autres sont morts ou ont disparu. Dans le dernier tome, quarante ans plus tard, il n’en reste plus que deux : Draco Spivac, le magicien, et Lioubov Fisher. On les retrouve à Asuncion, au Paraguay. Draco Spivac se fait appeler Don Luis Dragon Fisher Espivel : il est devenu le conseiller et le confident particulier du président du Paraguay, Don Alfredo Stroessner Matiauda. L’histoire débute en février 1989. Le règne du dictateur touche à sa fin et les États-Unis ont tout prévu pour que sa succession se déroule sans trop d’incidents. Mais en dépit du cancer de la prostate qui le ronge, le Président n’entend pas abandonner le pouvoir aussi facilement. Un soir, il se fait surprendre, par son successeur escorté de quelques militaires, chez une de ses maîtresses : une fusillade s’ensuit et le tyran négocie les conditions de sa reddition.
Le vocabulaire du bordel se mêle à celui de la politique. Des rappels historiques concernant le soutien politique de la communauté internationale alternent avec l’évocation de la puissance sexuelle du caudillo. L’horreur du fascisme passe par un registre d’images où le sperme et le sang se gaspillent en toute impunité : la répression est l’attribut légitime de celui qui a les couilles dures. Le style de Sergio Kokis se fait brutal, répétitif, désaffecté, à la limite du vulgaire ; la philosophie politique du Président Stroessner étant fort simple : il y a ceux qui enculent et ceux qui se font enculer. L’auteur prend le risque de lasser le lecteur par de sordides tableaux d’enculage politique, de baise et d’humiliation qui s’enchaînent à cru et se répètent jusqu’à l’écœurement. C’est ainsi que son roman parvient à imposer une représentation de l’innommable.