Astronome, mathématicien, géographe, astrologue, mais également musicologue et philosophe à sa façon, Klaudios Ptolemaios fut l’une des grandes figures scientifiques grecques du début de notre ère (il vécut au IIe siècle à Canope, près d’Alexandrie en Basse-Égypte). Plusieurs de ses travaux, dont ce Tetrabiblos (qui en est le titre, latin, le plus connu, et lequel signifie « Quatre livres », quoique la coutume hellénistique retînt plutôt Apotelesmatika, ou « Prédictions astrologiques »), ont fait autorité jusqu’à la Renaissance sinon parfois même jusqu’au XIXe siècle. Il s’agit ici d’une formidable synthèse critique fortement élaguée, épurée, structurée et déductive du savoir astrologique de son temps ‘ issu principalement des Chaldéens et des Égyptiens.
La parution de cette traduction constitue en soi un événement littéraire et, plus largement, intellectuel et académique : nous avons en main la première version française complète établie à partir du texte original grec. Qui plus est, cette bible de l’astrologie occidentale (au moins jusqu’à la parution d’Astrologia Gallica de Morin de Villefranche, un millénaire et demi plus tard !) a vu le jour dans le giron d’une équipe où tous ‘ spécialistes des lettres classiques, astronome et astrologue ‘ ont collaboré de façon à tenter de dénouer les énigmes d’une œuvre aux multiples strates de langages sinon de sens.
Mais qui lira ce bouquin grand format imprimé sur papier glacé, rehaussé d’une splendide iconographie, enrichi de tableaux et de figures de toutes sortes, assorti en outre d’un lexique grec-français et d’un glossaire indispensable et, enfin, irrigué de bout en bout par un commentaire qui saura (le plus souvent) guider aussi bien le moderne de manière générale que le non féru de la « science des astres » en particulier ?
C’est ici que le débat pourrait prendre forme. Celui qui aujourd’hui estime toujours recevable la « logique astrale » y trouvera-t-il de quoi véritablement enrichir sa pratique, ou n’y verra-t-il que l’occasion, quoique nullement rebutante il est vrai, de caresser le vélin d’une œuvre d’art ? Et les autres, pour qui l’astrologie (ou mathèma) entretient et perpétue une mentalité infantile toujours disposée à se vautrer dans la superstition et la pensée magique, se contenteront-ils de contempler du haut de dix-neuf siècles de progrès l’indigence intellectuelle à laquelle ils auront eu pour leur part, bénis d’on ne sait quels dieux, le bonheur d’échapper…?
De fait, il nous faudrait sans doute méditer cette repartie de l’insigne Newton à son presque non moins réputé collègue et contemporain, l’astronome Edmond Halley (eh oui ! La comète, c’est lui), qui comprenait fort mal qu’un esprit aussi brillant que le sien puisse s’intéresser à de pareilles fadaises : « La différence entre vous et moi, Sir, est que moi je l’ai étudiée [l’astrologie] et pas vous ». Principe élémentaire de tout esprit rationnel qui se respecte : analyse, preuves, épreuves, contre-épreuves et vérifications (même de l’invraisemblable, a priori) précèdent toujours le jugement éclairé. Comme quoi il y a parfois des manières peu scientifiques d’en appeler à la science même.
Et puisque nous sommes déjà en processus de méditation, laissons-nous sur les réflexions suivantes en contemplant simultanément une lune bien pleine en Périéchon (« ciel qui tout englobe ») : « Ce sont les hommes qui sont ou ne sont pas à l’écoute d’eux-mêmes. Car le ciel symbolique est à ceux-ci ce que sont les étoiles et la lune au soleil : un simple miroir de Soi. Point de force (ou d’influence), mais une forme. Qui informe. » (Jihel Gée, revue L’Astrologue, Paris, numéro 118, Juin 1997). Héraclite dirait, plus simplement encore (frag. 121) : « Le caractère de l’homme est sa destinée »…