Après l’excellent recueil La somme des vents contraires, on a enfin droit, six ans plus tard, à un nouvel ouvrage de Mario Brassard. Moins surréaliste que le précédent recueil, Le livre clairière gagne en intensité et en humanité. C’est un livre hanté par la mort, par l’agonie même, ce moment où la conscience atteint « la limite négative de la vie, la température extrême qui anéantira la toute dernière illusion », écrivait le jeune Cioran dans son essai Sur les cimes du désespoir. Il y a en effet chez Brassard une lucidité douloureuse qui le rapproche du philosophe roumain.
Les trois parties qui composent le recueil mettent en scène un tu, d’abord, puis un nous, et finalement un je confrontés à la fin de leur monde. Dans le premier tiers, « La distance dévorée par les loups », magnifique suite, le poète assiste, impuissant, à la mort inacceptable de l’autre : « Devant toi, nous sommes à nouveau des singes regardant la plaine, personne ne comprend autre chose que la falaise ». On pense au recueil de Philippe Moore, Le laboratoire des anges, qui relatait le lent effondrement d’un homme dans une chambre d’hôpital, texte qui a aussi valu à son auteur, en 2011 celui-là, le prestigieux prix Émile-Nelligan. Chez Brassard, cette agonie, moins technologisée, est un retour à la nature oublieuse, au tout : « Une par une, tes larmes retournent à la mer ». À cette fin individuelle succède, dans la partie intitulée « Le cahier blanc », la chute d’une civilisation emportée par la guerre, monde encerclé par les flammes où l’on est contraint de « suçoter des abeilles gelées ». L’univers y est post-apocalyptique. Narrée au passé, cette histoire est pourtant la nôtre : « C’était hier pareil à demain ». Encore là, et ce sera le cas dans tout le recueil, le verbe se tient de l’autre côté du miroir, si l’on peut dire, représentant une image brisée du réel. Ce miroir que traverse le poète dans la dernière partie, « Autoportrait à la clairière». Le tu, le nous ont disparu au cours du voyage ; le poète est seul devant le terrible constat que « mourir parle trop fort ».
Mais contre la mort, il y a ce recueil, objet de beauté qui dépasse la souffrance. Le pouvoir des images, ici toujours incarnées et renouvelées, apparaît comme un audacieux sourire au néant.