Le lecteur de poèmes est le premier ouvrage que Gilles Marcotte consacre exclusivement à la poésie depuis Le temps des poètes (1969). Mais alors que celui-ci empruntait la forme descriptive du panorama, Le lecteur de poèmes regroupe une dizaine d’études sur autant de poètes. Outre la maturité acquise par Marcotte, le regard critique, qui est celui d’un connaisseur plutôt que d’un virtuose, y est plus pénétrant et plus sensible à la polysémie du texte. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de comparer les quelques lignes d’explication (volontairement) partielles qu’il propose de tel poème d’Alain Grandbois dans Le temps des poètes à la lecture qu’il en fait aujourd’hui. C’est ce que l’ex-professeur de littérature à l’Université de Montréal appelle « devenir lecteur ». « Mais l’âge et la retraite, s’ils m’éloignent de certains enjeux immédiats, m’enseignent aussi le prix de chaque chose, de chaque œuvre. Tel poème que peut-être, autrefois, j’aurais été tenté de situer ou de perdre dans un ensemble, aujourd’hui je le retiens, conscient de ce qu’il a d’incomparable. J’ai longtemps pratiqué la critique ; il me semble que je deviens lecteur. »
Dans l’ensemble des études, toutes d’excellente qualité, le « lecteur » témoigne ainsi d’un grand respect pour le texte littéraire, choisissant intelligemment de pratiquer une lecture de l’incertitude, qui tire finement parti de sa propre vulnérabilité, plutôt qu’une critique de l’exactitude. Marcotte y manifeste le souci de rendre justice à l’exigence proprement formelle de la poésie, de telle sorte qu’il se méfie tout aussi bien des motifs biographiques (« je serai un lecteur d’autant plus fidèle que j’oublierai ces références trop précises », dit-il à propos de la poésie de Pierre Jean Jouve) que d’un contenu trop insistant (« peut-être même une trop grande attention portée aux thèmes philosophiques pourrait-elle […] masquer le travail proprement formel du texte », écrit-il au sujet de la poésie de René Char). Dans tous les cas, sa démarche est faite de prudence et d’admiration autant que de sagesse : « J’entre dans le poème comme dans un ‘ temple ’, non pour y déchiffrer un système, mais pour y entendre une voix », proclame-t-il magnifiquement.