Romancier prolifique capable d’une ironie suprême (Pantaleón et les visiteuses) mais aussi essayiste, Mario Vargas Llosa a publié, au cours de ses nombreux voyages, une somme de petites chroniques parfois mordantes, rédigées dans un style fluide et toujours élégant. Le langage de la passion réunit 47 de ces essais écrits à l’étranger.
Certains critiquent la politique intérieure des pays voisins de son Pérou natal, comme le Venezuela (« Le suicide d’une nation ») ; d’autres portent sur l’actualité des années 1990, comme le débat sur le multiculturalisme, qui « n’est pas une doctrine née en Afrique, en Asie ou en Amérique latine », mais bien « dans les universités des États-Unis d’Amérique et d’Europe occidentale ». L’auteur péruvien réfléchit également sur la littérature contemporaine : il affirme, à la suite de Henri Raczymov, qu’il n’y a plus de grands écrivains (« La mort du grand écrivain »), mais évoque au passage Jorge Luis Borges, Robert Louis Stevenson, Edgar Poe, Jean-Paul Sartre et Octavio Paz. Plus loin, tout en critiquant les dogmes religieux, il affirme du même coup « qu’une culture exclusivement laïque plonge dans la confusion et une dangereuse anomie morale ».
Comme tout intellectuel, le romancier prend parti sur des questions délicates : pour l’immigration clandestine et contre les mesures de contrôle aux douanes (« Les immigrants ») ; pour la Palestine et contre le gouvernement d’Israël (« Promenade à Hébron ») ; pour les « Indigènes du Chiapas » et contre les zapatistes ; contre « l’exception culturelle » (« L’identité française »), mais aussi contre le nivellement par le bas et la presse à sensation anglaise, décriée comme un triste exemple de la frivolité « qui règne en souveraine sur la civilisation postmoderne ». L’une des pièces les plus savoureuses demeure le procès du mythique philosophe Jean Baudrillard (« L’heure des charlatans »).
On lira Le langage de la passion à petites doses, comme il fut rédigé. Toutefois, l’essayiste Vargas Llosa ne surpasse pas le romancier qui sommeille en lui, sans doute parce que ces chroniques datant des années 1990 ont déjà vieilli, tandis que ses romans demeurent souvent intemporels.