L’œuvre de Francine Noël est construite autour de la tétralogie de « Maryse », fresque romanesque aussi ludique que totalisante. À ce noyau, on peut dorénavant attacher une deuxième catégorie, à savoir le récit intime de filiation, auquel se rattache aussi La femme de ma vie, plus proche du témoignage et des mémoires que de l’imagination hybride dont nous avait habitués Noël. Dans Le jardin de ton enfance, une grand-mère prénommée Francine, mais surnommée Nana, s’adresse à son petit-fils Émile, dans un journal qu’elle tient de la naissance du garçon jusqu’à ses sept ans, l’âge de la raison. De ce fait, Noël renoue avec l’écriture diariste qu’elle avait pratiquée dans Nous avons tous découvert l’Amérique, mais en infléchissant le propos, pour mieux faire ressortir la vie familiale éclatée d’Émile, le rapprochement entre les générations, les distinctions entre les époques. Elle reprend néanmoins le procédé consistant à nouer la vie personnelle de sa famille aux événements internationaux qui viennent cadencer l’existence de Nana.
Le journal que compose Noël est assez aléatoire, et l’une des forces du récit est de montrer comment l’histoire est aussi hors de la représentation, hors du foyer décrit. La narratrice prend la plume à l’occasion, annote des événements, décrit son rapport au développement de son destinataire, lui raconte des histoires. À mesure que les interactions se généralisent avec Émile, en raison des bouleversements qui adviennent dans la vie du plus jeune ou tout simplement de sa capacité de s’exprimer, la narration se dilate et les interventions sont plus complexes, nombreuses. Il est très touchant de sentir le legs qui est déposé dans ces pages, ce besoin de rendre une partie du passé, d’établir des histoires qui font le passage entre les générations et qui évoquent un point de vue partial sur l’univers à partir duquel puiser dans les exigences du monde. Il en résulte un récit volontairement décousu, plein de vie, tendre mais distancié, comme si Nana savait qu’elle était une transition, un maillon dans un grand récit en train de se construire. Si le texte dégage moins de ferveur que ses précédents, on y retrouve l’humour ironique si caractéristique de Noël, notamment dans le glossaire très personnel qu’elle propose à son petit-fils pour l’aider à comprendre un monde qui tourne sans eux.