Le vendredi 5 mars 2010, à l’âge de 61 ans, est décédé l’auteur du récent roman Le grand loin. En héritage, il laisse une bibliographie foisonnante, quelque soixante ouvrages, soit quasi un pour chaque année de son existence. Auteur économe (ses romans n’ont jamais dépassé les 200 pages), il possède un univers romanesque caractérisé par de bénins personnages : ce sont des M. Untel, Mme Unetelle, aussi bien nos voisins que des inconnus croisés au supermarché. Son dernier roman ne faisant pas exception à la règle, il y est encore question de personnages ordinaires, mais cabossés par la vie, qui basculent dans l’incongru et dérapent dans la folie.
Comme dans tous les autres romans de Pascal Garnier, on entre vite dans le vif du sujet avec Le grand loin. Chaque année, le jour de son anniversaire, Marc rend visite à sa fille Anne internée au Perray-Vaucluse, un hôpital psychiatrique. Cette fois, il décide d’enlever sa fille pour une petite virée en voiture, une escapade innocente devant durer une fin de semaine, mais qui tourne bientôt en cavale. Au bout de quelques jours, Anne en a marre, souhaite retourner à l’hôpital, mais Marc refuse de rentrer chez lui et convainc sa fille de l’accompagner jusqu’à Agen. Ils troquent ainsi la vieille bagnole pour un camping-car et sur une toile de fond noircie, ils parcourent une route parsemée de cadavres et d’incidents étranges. Peu à peu, les rôles s’échangent et on ne démêle plus très bien la vérité du vrai. En fuyant le réel, nos personnages s’y perdent et, soudainement, c’est Anne qui paraît la plus lucide des deux. Quelle est la place qu’on doit vraiment attribuer à la folie, au meurtre et à l’inceste dans ce roman ? La limite n’est peut-être pas si difficile à traverser, le grand loin aussi loin qu’on le pense
Ce roman est l’histoire d’un ensevelissement qui ne peut que mal se terminer. Partagé entre une curiosité un peu malsaine, se complaisant dans l’horreur humaine, et une écriture froide, dérangeante par la crudité de ses mots, on observe docilement les personnages que Garnier prend plaisir à enfoncer toujours davantage. Bientôt, Marc a de la boue plein les yeux, plein la bouche, et sans trop d’espoir ni pour lui ni pour sa fille, on les suit ligne après ligne (le roman est très court après tout), ne sachant trop si on y croit, si on aime ou pas, mais en se demandant toujours : comment ont-ils pu en arriver là ? Aussi loin ?