Les thèses de doctorat qui prennent le chemin de l’édition souffrent habituellement des défauts de leurs qualités : elles sont le fruit d’un académisme qui use de nombreuses répétitions pour mieux appuyer le propos, qui multiplie les démonstrations logiques et abuse des notes explicatives. Si le livre de Jean Du Berger intitulé Le Diable à la danse n’échappe pas totalement à ces petites lacunes, il n’en demeure pas moins que l’auteur a su transformer son travail de recherche en un ouvrage accessible qui a le mérite de conserver son côté érudit. Et bien que le livre s’adresse en premier lieu à des littéraires férus de contes et de légendes, il saura intéresser le lecteur profane, car Du Berger traite dans son étude d’une matière ayant le loisir de toucher quiconque a lu tant soit peu dans sa jeunesse : les récits traditionnels, en l’occurrence ceux qui proviennent du patrimoine canadien-français et mettent en scène le Diable. Qui n’a un jour ou l’autre entendu raconter les frasques du Malin et de ses acolytes maléfiques par quelque conteur loquace ? Rendues accessibles au cours des XIXe et XXe siècles par de nombreux folkloristes, ces légendes représentent un fonds important qui méritait d’être étudié.
Jean Du Berger s’est à vrai dire livré à un travail de moine, recensant et analysant parfois jusqu’à des centaines de versions d’un même récit afin de déterminer, par l’étude des constantes et des variantes, les spécificités d’une trame narrative. Rose Latulipe est bien sûr à l’honneur, elle qui, déjà dans le premier roman canadien-français, se frottait à la figure sombre du Diable. Du Berger ne se limite cependant pas à cette figure notoire et parvient, par l’étude de multiples légendes, à dégager la structure type du récit traditionnel qui narre la rencontre d’un personnage avec le Diable, le plus souvent au cours d’une soirée de danse où la victime est incitée à transgresser les interdits édictés par sa communauté. Cette séquence narrative, composée de huit éléments clés, rendrait compte de l’affrontement entre les forces de la Nature et celles de la Culture. Orales ou écrites, ces légendes créées et consignées par une tradition ancestrale s’avèrent indispensables à qui souhaite connaître les sources populaires de la littérature québécoise.