Qu’est-ce que Hannah Arendt et Martin Heidegger ont bien pu se dire lors de leur unique nuit de retrouvailles, dans un hôtel de Fribourg, le 7 février 1950 ? Le professeur de philosophie et sa brillante élève s’étaient follement aimés avant la guerre, mais leurs routes avaient pris des directions radicalement opposées avec l’avènement du régime hitlérien. Arendt s’est réfugiée à Paris puis en Amérique, tandis que Heidegger a adhéré au Parti nazi. Pourtant, après dix-huit années de désolation, une « irrésistible contrainte » les a poussés à se revoir. La pièce de Rault se veut une reconstitution possible du déchirant dialogue qu’ont engagé ces deux grands esprits du XXe siècle en cette nuit de février 1950. Manifestement, avec Le démon de Hannah, Antoine Rault tenait un sujet en or.
En ouverture de son livre, Rault glisse une référence à Sándor Márai. L’indication n’est pas fortuite, car on a l’impression que Rault a conçu les retrouvailles d’Arendt et de Heidegger en s’inspirant du grand romancier hongrois. L’auteur des Braises et de L’héritage d’Esther excelle à représenter ses héros à un moment-clé de leur vie alors que leur passé refait surface. Divisé en deux actes (avant et pendant l’ultime rendez-vous), Le démon de Hannah fait intervenir quatre personnages, habités d’autant de « démons » : les deux anciens amants, de même que leurs conjoints légitimes, Heinrich Blücher et Elfride Heidegger. Cette composition s’avère d’une grande efficacité ; la conversation amoureuse, passionnée et discordante, se fait sur fond de poignant dialogue politique et philosophique.
La pièce Le démon de Hannah a été créée à la Comédie des Champs-Élysées en septembre 2009, dans une mise en scène de Michel Fagadau. Il y a fort à parier qu’une adaptation sur une scène nord-américaine ne se fera pas attendre trop longtemps. Du moins, espérons-le.