L’essai s’attache à retracer les sources de l’hégémonie du monde technomédical dans l’univers de la santé et dans la sphère politique. C’est un signe des temps ! Il ne s’agit pas ici d’une allégorie, mais d’une étude structurale des modifications des systèmes de croyance des organisations cultuelles et des comportements qui leur sont associés. Il démontre la place des « sachants », les prêtres, chefs et guérisseurs, de l’Égypte ancienne jusqu’à nos jours, en passant par la Grèce antique. Il retrace les mutations idéologiques des sources du mal et de leur guérison, en soulignant les relais d’une forme de culte à une autre, et même en dégageant le circuit cultuel des capitales occidentales, du temple d’Amon au World Trade Center. L’étude de Philippe Gaulin est intelligente, parsemée de références savantes et d’interprétations à-propos sur la migration des signifiants.
L’auteur reprend l’idée de Sigmund Freud voulant que tout être humain reproduit les phases du développement de l’humanité dans son propre développement, et qu’il en va de même pour l’histoire des idées. Plus encore, dans la postface, Philippe Gaulin montre que l’évolution des structures psychiques pathologiques (des symptômes) reproduit le même schéma, mais que le chemin est inverse : plus la pathologie arrive tard dans le temps (dans l’histoire), plus ses sources sont anciennes dans la structure cultuelle. Il invoque à titre de preuve un texte de Freud récemment retrouvé (son douzième exposé métapsychologique). Un problème se pose : pour les « étapes » à venir, celles que traversera l’humain, jusqu’où pourra-t-on reculer pour en trouver l’achoppement et l’explication, puisqu’il y a une limite initiale (du moins dans la construction du discours) à toute genèse ? Aussi, il y a un problème avec le concept du Réel, suffisant pour alimenter la controverse. Philippe Gaulin est manifestement plus freudien que lacanien dans ses références (Totem et tabou, Moïse et le monothéisme), bien qu’il ait lu et travaillé Lacan. Il lui emprunte une catégorie du Réel sans toutefois l’expliciter de façon claire, parfois en changeant de registre, ce qui engendre de la confusion. Par ailleurs, le choix de l’analyse phylogénétique est criticable : les grands ensembles de « civilisation occidentale » et des groupes sociaux invoqués sont certes commodes pour la démonstration, mais, hors du discours, n’ont pas l’homogénéité englobante qu’on leur attribue.