Ce sont les discours sur Internet que scrute Philippe Breton, et non le surf des internautes ou les politiques publiques à cet égard. Ces discours sont déconnectés des pratiques actuelles, mais contribuent à les façonner ; il y a là une sorte de prophétisme. Breton va plus loin, qualifiant les adeptes du tout à l’Internet de « fondamentalistes », qu’il oppose à ceux qui préconisent une approche critique du médium, mais que les premiers considèrent comme des technophobes, rien de moins. Les chantres du cyberespace, dont Pierre Lévy constituerait la figure emblématique, tiennent actuellement le haut du pavé ; ils s’appuient sur Teilhard de Chardin et sur le Nouvel Âge d’une part et sur le néolibéralisme d’autre part. Breton montre en quoi on pourrait les qualifier d’utopistes – comment leurs propos sont traversés par la métaphore de la lumière et de la transparence -, et trace des parallèles fascinants entre leur conception du social et certains ouvrages de science-fiction (en particulier Face aux feux du Soleil de Asimov). L’aspect le plus intéressant de l’analyse n’est pas la métaphore religieuse que Breton emploie à propos des « fondamentalistes » (culte de l’Internet, univers de croyance et nouvelle religiosité, qui apparaît moins comme une métaphore que comme une dimension refoulée de l’engouement pour Internet), mais ce qui renvoie au sous-titre du livre : une menace pour le lien social. Dans cette vision du « tout Internet », la société, ramenée à la communication et à la transmission de l’information, serait à l’abri de la violence, du conflit que génère la co-présence. Bien sûr, ceux qui sont ainsi qualifiés de fondamentalistes ne se reconnaîtront pas dans le discours de Breton ; cependant il engage une discussion qui doit être menée, bien que trop souvent évacuée. S’il faut prendre le bateau du cyberespace, encore faut-il savoir à quel port il mène. La brièveté du livre de Breton à cet égard est certainement une de ses forces : Breton cherche à secouer l’opinion face à ce fondamentalisme qui passe plus inaperçu que celui des ayatollahs mais qui nous touche davantage, en Amérique ou en Europe occidentale.
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