En 1941, avant que les États-Unis ne se rallient à la guerre contre le fascisme, le célèbre aviateur Charles Lindbergh se fit le porte-parole de la population américaine opposée à l’intervention armée en Europe. Dans un discours qu’il prononça devant une assemblée enthousiaste, il émit l’hypothèse que des intérêts juifs étaient à la base de cette possible participation, ce que nombre d’Américains, antisémites notoires ou inavoués, membres du Ku Klux Klan et autres, approuvèrent avec la même éloquence. Même si certains le voyaient déjà président de la nation, la presse et les démocrates ne manquèrent pas de l’accuser d’être un anti-Américain, ce qui engendra la dissolution de l’association des isolationnistes à la tête de laquelle il était.
Et si Lindberg avait continué à faire la promotion de la non-intervention des États-Unis, serait-il devenu le président à la suite de Roosevelt ? Et s’il avait été élu président et qu’il avait signé un pacte de non-agression avec nul autre qu’Hitler, les valeurs américaines de démocratie et de liberté pour tous auraient-elles été respectées ? La nation américaine, si l’on en croit le roman de Philip Roth, souffrait, à cette époque du moins, du même mal que toute l’Europe. La graine d’antisémitisme attendait seulement le moment propice pour s’épanouir et fleurir.
Sorte de roman d’anticipation, Le complot contre l’Amérique nous plonge dans le cauchemar d’une modeste famille juive du New Jersey, les Roth, pendant les deux années que dure le règne de Lindbergh. Le résultat est un mélange entre la veine des romans plus engagés politiquement comme Pastorale américaine, et le genre confession ou chronique familiale pratiqué par l’auteur. Le personnage central et narrateur en est le petit Phil, et la famille qui l’entoure ressemble à s’y méprendre à celle de l’autofiction avant l’heure Portnoy et son complexe, ce qui donne à l’histoire des accents de vérité. Les opinions divergeront à savoir s’il s’agit du meilleur livre de Philip Roth ; j’affirmerais quant à moi qu’il pose une pierre de plus au monument qu’est son œuvre, cette « recherche de l’Histoire perdue ».