Muo, la quarantaine, malingre et myope, a appris le français à Paris. Il y a aussi découvert les ouvrages de Freud. De retour en Chine, il s’est mis en tête d’utiliser la technique d’interprétation des rêves pour délivrer son amour de jeunesse, Volcan de la Vieille Lune, prisonnière politique. L’apprenti psychanalyste cherche le moyen de graisser la patte du juge Di, dont dépend la liberté de la belle. Mais le vieux juge n’a que faire de l’argent, une nuit d’amour avec une vierge, c’est le prix de la liberté de Volcan de la Vieille Lune. Lui-même puceau, sublimant tant bien que mal ses pulsions sexuelles dans des carnets de notes et d’érudition, Muo se met en quête. Il parcourt des kilomètres dans des trains bondés et crasseux, se perd dans sa propre ville, et voit partout des symboles phalliques. Il interprète les rêves comme on feuillette un dictionnaire de symboles, reçoit plus que sa part de baffes et de rebuffades, et tourne en rond comme un chien après sa queue.
On reconnaît, bien que traités de façon radicalement différente, les thèmes de Balzac et la petite tailleuse chinoise : culture et sexualité, sur fond de violence et de corruption. Les scènes sont souvent sordides et imposent des images dont la violence est brillamment mise en relief par une ironie intelligente et dépourvue de complaisance. La construction narrative, qui donne l’impression que le personnage refait et défait constamment le même trajet, illustre bien l’impasse dans laquelle il se trouve. La Chine y apparaît comme un pays où le capitalisme, loin de contribuer au respect des droits et des libertés, est en train de faire autant de ravages que le communisme. L’Occident n’en ressort donc pas indemne. Un florilège d’exemples d’applications sauvages de la psychanalyse illustre bien, à mon sens, un certain complexe : privé de culture occidentale par une révolution censée protéger la culture chinoise, Muo idéalise la France et sa culture, symbolisée par la psychanalyse, comme on se jette sans discernement sur ce dont on a été privé. En important cette culture mal digérée en Chine, il se coupe de lui-même, de ses origines, d’où son errance dans un pays où il se sent partout menacé, à la poursuite d’une chimère.