La journaliste et auteure canadienne publie un nouveau témoignage sur les risques, pour une population fragilisée par une situation de crise, de voir ses acquis sociaux bafoués au bénéfice d’intérêts privés, sous couvert de reconstruction.
Dans La stratégie du choc, paru en 2008, Naomi Klein exposait, avec de nombreux exemples à l’appui, sa théorie selon laquelle les cataclysmes naturels, les conflits armés, les perturbations économiques, ou toute autre crise d’envergure, créent des conditions de table rase. Divers types de promoteurs y voient alors l’occasion de privatiser des institutions ou de mettre en place des projets générateurs de profits pour une minorité, au détriment des populations. Avec Le choc des utopies, la journaliste militante revient à la charge en étayant cette fois le cas de Porto Rico, après le passage des ouragans Irma et Maria en septembre 2017.
Ce nouveau livre de Klein ne constitue pas une analyse approfondie de la mouvance socioéconomique et politique à Porto Rico, dont la relation de dépendance envers les États-Unis repose sur un statut particulier et pour le moins alambiqué. On y trouve d’une part des exemples d’efforts déployés par des représentants du grand capital pour profiter de la situation précaire causée par les ouragans dans le pays. On y trouve d’autre part, et c’est le plus intéressant, des exemples de mobilisation citoyenne visant à prendre en mains la destinée du pays, dans une perspective d’autonomie, de solidarité et de démocratie.
La journaliste décrit entre autres la Casa Pueblo, un centre communautaire où ses fondateurs avaient installé des panneaux solaires il y a vingt ans, un geste ridiculisé à l’époque. Après le passage de Maria, la petite ville d’Adjuntas, désormais privée d’électricité, était plongée dans l’obscurité, sauf la Casa Pueblo. « La maison rayonnait tel un phare dans la nuit terrifiante. » Rapidement, la maison est devenue le centre névralgique d’opérations de secours autogérées, a fait office d’hôpital de campagne et s’est imposée comme carrefour d’échange d’informations permettant de nourrir l’optimisme. Pendant que certains proposaient de reconstruire les zones sinistrées de Porto Rico à grand renfort de développements immobiliers et d’infrastructures commerciales inspirées de Miami, la population locale découvrait au milieu des décombres laissés par Maria les vertus des techniques adaptées aux événements météorologiques violents (comme l’énergie solaire) et prenait conscience de l’importance vitale des liens d’entraide.
De la pléthore d’initiatives citoyennes et communautaires ayant vu le jour, ou dont l’importance a été décuplée sous le coup des dégâts causés par les ouragans, un renouveau politique semble prendre forme à Porto Rico. Maria a provoqué du désarroi, mais également une volonté chez la population de réaffirmer sa souveraineté. L’organisation JunteGente (littéralement, peuple rassemblé), issue d’une soixantaine de groupes à travers l’archipel, se voue à l’élaboration d’un projet politique unifié, avec la volonté affirmée de répondre aux aspirations de la population locale. Les droits d’auteur des versions anglaise, espagnole et française du livre sont versés à cette organisation.