Sara Ramsay est âgée de douze ans lorsque, en 1916, ses parents prennent la décision importante de quitter les Bois-Francs, où ils mènent une vie tranquille, pour se lancer à l’assaut de l’Abitibi. L’esprit colonisateur du père entraîne la petite famille dans cette aventure qui verra les Ramsay affronter quantité de difficultés, lutter avec le sol impropre à l’agriculture et résister aux hivers rigoureux, puis assister à la mort des êtres aimés, pour finalement comprendre que le temps donné à l’être humain ici-bas est compté. La jeune Sara, rêveuse, transforme la réalité en un feu d’artifice d’affabulations abracadabrantes qui laissent au lecteur une impression de fraîcheur et de fantaisie. Déçue de ne pas voir arriver son prince charmant, la fillette gagne néanmoins dans l’expérience une détermination à toute épreuve et, au fil des mots qu’elle tisse bon gré mal gré (Sara faisant également office de narratrice de l’histoire), le récit se déploie de manière linéaire. Les guerres se succèdent au cours de ce siècle, certes, mais Sara leur résiste et réclame sa part de bonheur. « Peut-être que toutes les réponses se trouvent de l’autre côté de la vie », clame-t-elle vers la fin du récit, incertaine de ce qu’elle doit s’attendre à trouver au bout du chemin de l’existence.
Chronique d’un temps lointain (relégué aujourd’hui à quelques pages dans les manuels d’histoire), Le bout du monde renoue avec le genre du roman de colonisation – à un moment où, ironiquement, le processus colonisateur semble appartenir au passé. Optant pour un style dépouillé empreint d’un brin de naturalisme, l’auteure situe avec précision son sujet dans la trame sociohistorique du Québec de l’époque. Les difficultés vécues par les colons sont explorées de manière imagée (métaphores et comparaisons se prêtent bien au grossissement des dangers encourus) et le regard de la narratrice se pose sans ambages sur les objets du monde afin de leur restituer leur caractère fabuleux. Entre les nombreuses parenthèses historiques traduisant la nostalgie de Sara pour un temps révolu et quelques clichés qui enlèvent du lustre aux réflexions sur la vie et la mort, Paule Doyon a su ficeler son œuvre avec doigté. Réédition d’un roman paru en 1987, Le bout du monde saura charmer tout amateur de récits historiques, malgré un ton ici et là plutôt pessimiste.