L’émancipation des comportements fait oublier l’époque où Micheline Duff situe son récit. Obéir aux préférences de sa nature, peut-être même les soupçonner, voilà qui était ardu dans une société québécoise où la sexualité ne s’envisageait que sous l’angle du couple hétérosexuel et de la procréation. L’auteure use donc d’une pédagogie nécessaire en ne révélant que lentement l’orientation sexuelle de son personnage. Pédagogie applicable à Maryse autant qu’au public lecteur : pas plus que son entourage, l’héroïne n’était disposée à accepter la marginalité.
Autour de Maryse l’auteure fait vivre des humains fortement typés. Le frère aîné, qui a cru entendre l’appel de Dieu, revient aux amours terrestres et y gagne une humanité sur laquelle Maryse s’appuiera. Le cadet sera capable du pire et de pire encore. Quant aux parents, ils sont un mélange trop plausible de sincérité et de dissimulation. Le père, qui a déserté le foyer familial, n’est pourtant pas le monstre que la mère vilipende in absentia. La mère, qui prend des libertés avec la vérité, n’est d’aucun secours pour sa fille.
Les deux personnages qu’aime Maryse l’un après l’autre ne manifestent pas la même cohérence. Samir, délicat et attentionné au temps des fiançailles, affiche, sitôt le mariage célébré, un révoltant machisme. Le virage est si radical que rien ne subsiste de la subtile gradation du début. En revanche, Solange, qui a lentement accepté son orientation sexuelle, conduit Maryse avec délicatesse au même apaisement. Cette érosion des préventions et des refoulements rachète le contraste brusqué et excessif entre les deux visages de Samir.
Le bouquin saisit au vol l’occasion de comparer le passé et le présent autrement que par rapport à la sexualité. L’héroïne accepte mal l’éducation des bambins hors du nid familial. « Les mères quittaient la maison en même temps que les enfants, pressées d’aller gagner leur salaire pour payer leurs beaux vêtements, le chalet, les vacances… » Comme Micheline Duff a souvent partie liée avec ses personnages, un prochain ouvrage dira peut-être comment se répartissent les convictions entre l’héroïne et l’auteure.