Il y a quelques années, Annie Ernaux, dans un échange de courriers électroniques avec Frédéric-Yves Jeannet, regroupés dans L’écriture comme un couteau, se confiait sur sa démarche d’écrivaine en soulignant que son travail se situait quelque part entre la littérature, la sociologie et l’histoire tout en évoquant le caractère très personnel de ses écrits. Cette fois, répondant à l’invitation des éditrices des Busclats qui proposent à des écrivains de faire un pas de côté et d’écrire en marge de leur œuvre selon la forme qu’ils souhaitent, Annie Ernaux a accepté de publier le carnet des notes, le plus souvent éparses, prises au fil des ans et accompagnant tout à la fois la gestation et l’écriture de ses récits. L’atelier noir, comme son titre le suggère, n’a d’autre prétention que d’ouvrir une fenêtre sur le processus de création de l’écrivaine, avec tout ce que cela comporte d’interrogation quant au bien-fondé de permettre un tel regard sur ce qui s’avère sans doute la part la plus intime, voire la plus vulnérable du travail d’écriture. « Allais-je oser, écrit Annie Ernaux en préambule, exposer les doutes, les hésitations, les recherches vaines, les pistes abandonnées, tout ce travail de taupe creusant d’interminables galeries, qui prélude à l’écriture de mes livres ? J’ai hésité. J’ai accepté le risque. »
Cette pratique en parallèle de l’écriture proprement dite, souligne Annie Ernaux, est venue de ses impasses en cours d’écriture, de ses hésitations récurrentes d’un projet à l’autre, voire constantes au moment même de l’écriture. Hésitation quant au point de vue narratif à adopter, importance de retenir ou non certains détails, conflit incessant entre vérité recherchée et celle surgie des mots ; Annie Ernaux ne cesse d’un livre à l’autre de s’interroger sur la forme à privilégier pour poursuivre sa démarche d’archéologie personnelle. Et ce désir constant d’être vraie, de ne pas faire une littérature qui se montre : « […] tout mon effort tend à faire de la littérature qui n’en soit pas ». Annie Ernaux se situe en permanence dans cet intervalle de tension qui délimite un projet, l’ambition et la nécessité qui le portent, la vision qu’elle en a et qui lui permettrait d’embrasser la vérité de la totalité de sa vie et non seulement la concentration d’un moment.
L’atelier noir intéressera avant tout les lecteurs qui suivent la démarche d’Annie Ernaux, dont les éditions Gallimard viennent de regrouper dans la collection « Quarto » douze romans et autres récits, et tous ceux que le processus de création littéraire interpelle d’une façon ou d’une autre.