Le premier livre de Guillaume Corbeil forme un jeu sur le faux et le vrai. Un exercice de style. Le narrateur et ses personnages y sont à la recherche du vide, de l’absence, de la fugue, tous des lieux où ils pourraient devenir eux-mêmes tout entiers, simplement puisqu’ils n’y sont pas du tout. L’écriture elle-même devient une fuite pour l’auteur, comme il l’annonce dans le prologue : « Les fictions que j’ai créées ne sont rien d’autre, finalement, que quelques lieux qui m’ont servi d’asile le temps de les écrire. C’est un suicide sans mourir. Une fugue ».
De la fugue musicale, l’auteur utilise à merveille la répétition. Il reprend les mêmes motifs, mélodies, refrains, en les modifiant d’une fois à l’autre, en les recoupant, en les colorant d’une nouvelle manière. Dans « Elles détestaient Madrid » par exemple, le refrain des suicidaires revient souvent, passant de la bouche d’un personnage à un autre. Les rencontres fortuites, improbables, ou alors trop évidentes, et la place du merveilleux nous rappellent parfois davantage le monde du conte que celui de la nouvelle. L’on pense ainsi à Marion de Bétinna, cette femme de la petite ville de Petit Village, qui cent fois avorta, ne put jamais être mère, et à qui on annonce que son fils est mort à la Guerre.
La fugue est sans doute le lieu littéraire idéal du jeu entre la vérité et le mensonge. Elle, qui peut apparaître autant dans la noirceur que sur la page blanche, est parfois pure réaction devant la routine. Ainsi, certains personnages fuient leur réalité pour plonger dans le rêve, finissant par devenir les spectateurs de leur propre absence. C’est le cas de ce personnage, dans « Le relais », qui « voulait arriver là où ses propres yeux n’arriveraient plus à voir. Là où il ne serait plus nulle part pour se croiser ». L’on comprend que peu importe où l’on est, l’art de la fugue est possible car « la véritable chose de laquelle on cherche à s’éloigner dans la fugue, ce ne sera jamais rien d’autre que soi-même ».
Le premier recueil de Guillaume Corbeil témoigne d’une écriture ludique, voire psychédélique, qui fait sourire. Elle n’est pas sans rappeler le réalisme magique dans lequel baignent les nouvelles de Gabriel García Márquez ou encore la douce folie de certains récits de Louis Gauthier. Une écriture qui a de la fuite dans les idées.