Khaled Al Khamissi avait fait une entrée remarquée en littérature en 2009 avec la publication de Taxi, roman hybride qui tenait sans doute davantage de la chronique de vie quotidienne au Caire. L’ouvrage, par la multiplicité des points de vue qu’il adoptait, par l’humour de l’auteur et son habileté à rendre palpables la complexité des déplacements dans la capitale égyptienne et la cohabitation religieuse dans une ville qui voit sa population augmenter d’un million d’habitants par année, avait connu un franc succès et été largement traduit. Mieux que n’importe quel guide, Taxi faisait sentir le pouls de cette fascinante mégapole.
L’arche de Noé nous plonge de nouveau au cœur de l’Égypte moderne, tout à la fois consciente de sa culture plusieurs fois millénaire et énigmatique, et faisant face à un présent de plus en plus précaire, à un avenir qui s’avère encore plus incertain, voire qui sombre chaque jour dans la désillusion et le cauchemar. D’où le titre qui épouse la figure d’une cité sans voiles faisant lentement naufrage : corruption institutionnalisée, répression politique, chômage endémique chez les jeunes. Les sept plaies d’Égypte nous sont resservies non pas avec des métaphores bibliques, mais avec la même lucidité sans fard de l’ouvrage précédent, lucidité qui repose une fois de plus sur l’acuité du regard critique et de l’analyse sociale, et qui privilégie, plutôt que la gravité du propos, l’humour du désespéré qui épouse au plus près l’esprit cairote qui malgré tout garde espoir. Les destins de douze personnages se croisent ici, du jeune licencié en droit qui doit se résoudre à émigrer faute de ne pouvoir payer le pot-de-vin qui lui permettrait d’accéder au poste qu’il convoite à celui d’émigrés qui rêvent d’un retour au pays, et brossent le portrait d’une société en pleine effervescence sur le point d’exploser au moment de l’écriture du roman, et qui s’avéra prémonitoire au moment de sa parution. Tout au long de ce roman, le lecteur sent constamment battre le cœur de cette mégalopole fascinante, entend l’humour bon enfant des Cairotes, respire l’air à la fois doux et poussiéreux de la ville et se prend à rêver à l’espoir d’un monde meilleur : « L’Arche de Noé prend la forme d’un cœur qui bat selon son propre rythme pour refaire le monde ». Souhaitons que le roman soit également prémonitoire relativement à ce revirement.