Depuis le fameux colloque de 1981 consacré à l’œuvre de Derrida ( Les fins de l’homme, À partir du travail de Jacques Derrida, Galilée) et tenu à Cerisy comme celui qu’organisait en 1997 Marie-Louise Mallet, les rencontres se sont multipliées dans plusieurs pays afin de répondre à la générosité de l’un de ceux (un poète ?…) qui défendent avec le plus d’ardeur à notre époque le droit à la responsabilité politique et éthique hors du circuit castrateur du don et de la dette, de l’actif et du passif. Ainsi son appui à Nelson Mandela ou, plus récemment, à Mumia Abu-Jamal (journaliste et membre des Black Panthers, présumé assassin d’un officier de police de Philadelphie et condamné à mort) relève d’un esprit de communauté, celle-ci fût-elle « inavouable », pour reprendre le bel adjectif de Maurice Blanchot, c’est-à-dire sans projet fusionnel et sans valeur de production. Communier à la même table que l’autre, voilà un geste qui engage sans retour car s’y implique l’inaltérable solitude de l’être.
Ce n’est donc pas par hasard si l’avant-propos de L’animal autobiographique parle de « l’extraordinaire climat d’amitié » ayant favorisé les échanges autour de la question de la vie ou, plus abondamment, du vivant, de son écriture, de ses traces dans toutes les sphères qui requièrent l’inscription de l’écoute et de la respiration. Car animal est ici à entendre dans son sens étymologique, à savoir comme « souffle ». Il convient par conséquent d’ouvrir le diaphragme, opération réussie avec brio dans les 24 contributions de cet ouvrage qu’on peut traverser comme s’il s’agissait d’une série de rhizomes croisant au hasard mille et un motifs dont, pour n’en nommer que quelques-uns, la fiction, le témoignage, la confession, la parenté, la génétique, les biotechnologies, la philosophie, la littérature et la langue. Il y a là une remarquable liberté de ton et d’approche qui relève d’une souffrance, d’une flamme, d’une chaleur, voire d’un amour donnant envie de méditer sur la foi de son corps subtil. Si j’avais à choisir au-delà des frontières un passage entre tant de belles pages, j’opterais pour ces mots de Marcos Antonio Siscar : « L’intérêt pour la reconnaissance est à la fois l’intérêt pour l’élaboration du sens de la passion de gratitude, comme aspect touchant à l’écriture de sa propre vie, et pour la pratique difficile de ce que l’on pourrait appeler la vertu de gratitude, comme aspect touchant le devoir moral ou éthique envers la vie d’un – autre – compris (si l’on veut) comme l’ensemble des vivants. » Sera-t-on surpris si nous sommes enjoints de faire preuve de courage et de lucidité dans l’approche du cœur de la pensée, de la vie ? Ne suis-je pas qu’une forme parmi d’autres de l’actualisation momentanée de la matière, de l’ensemble des vivants ?