Russel Banks cite en exergue Les élégies de Duino de Rilke : «Tout ange est terrifiant». Première élégance de l’auteur dans un recueil de nouvelles où la grâce le dispute à la tendresse. «Pendant des années, ma mère m’a raconté des histoires de son passé : je ne les ai pas crues, je les ai interprétées». Sa mère, «la plus jeune des cinq enfants d’un horloger dont la femme était morte (‘Elle s’est étouffée avec un os de côte de porc’- encore une de ses histoires) quand ma mère avait dix-neuf ans», et dont il s’occupe beaucoup à présent, est l’image tutélaire qui habite les neuf récits.
Les protagonistes font ici figure… de figurants, dans la relation privilégiée qui s’instaure au fil des pages entre le lecteur et l’écrivain. Avec un style maîtrisé à la perfection, Russel Banks croque les tranches de vie de personnages à la dérive, confrontés le plus souvent à la solitude et reflets sans équivoque de nos illusions contemporaines. Quelque chose fait mal dans ses récits, comme tout ce qui est appelé à disparaître, car «Bientôt, il sera trop tard».Trop tard pour ces confessions d’une troublante pudeur : «Depuis que je suis adolescent, je lis deux quotidiens par jour, parfois même trois, et j’y découpe souvent un article qui m’a frappé pour une raison obscure et vite oubliée. D’habitude je fourre les coupures dans un tiroir de bureau et plus tard, généralement au bout de plusieurs années, je me retrouve à les relire et à en jeter la plupart. C’est un acte qui m’emplit d’une étrange tristesse, d’une sorte de sentiment de deuil pour ce moi que j’ai perdu, comme si je lisais et jetais de vieux journaux intimes». Et c’est ainsi que l’auteur, en philanthrope, nous fait le don de récits pleins de cocasserie, comme ceux que l’on aime à se raconter à satiété dans les réunions de famille.
Russel Banks vient d’être élu président du Parlement international des écrivains, association de soutien aux artistes persécutés ; indice, s’il en fallait un, de l’attention qu’il sait porter à ses contemporains.