Foin de la paraphrase ! En l’occasion, Lise Gauvin, se suffit amplement à elle-même : « De Crémazie à Victor-Lévy Beaulieu, de Speak White [Michèle Lalonde, 1970] à Speak What [Marco Micone, 1989], de [Jacques] Renaud à [Idem…] Godbout, les écrivains québécois n’ont cessé d’interroger la langue dans ses déterminations sociales aussi bien que littéraires, témoignant ainsi des implications multiples de leur surconscience linguistique. »
« Le présent ouvrage, écrit encore Lise Gauvin dans Langagement, se propose donc d’examiner aussi bien les positions théoriques ‘ critiques et polémiques ‘ énoncées par les écrivains que les propositions langagières véhiculées par les textes, et tout particulièrement les récits. D’où cette notion de langagement, qui renvoie aussi bien à la dimension langagière des textes qu’aux attitudes des écrivains et au sentiment de la langue qui les mobilise. »
En d’autres mots, les miens, quel rapport notre littérature entretient-elle avec son propre idiome ? La réponse n’est pas simple, univoque, inéluctable moins encore. D’abord, parce que la langue québécoise n’a pas toujours su, et ne sait peut-être pas encore, ce qu’elle est très exactement : au périexcentriphérique d’une norme d’ailleurs (ou d’autrefois), ou solide pivot à lui-même sa propre loi ? Direct du droit qui fait vaciller le locuteur, et qui à elle-seule se révèle susceptible d’engendrer cette surconscience. Voilà pour la qualité de l’organe. Ensuite, un crochet du gauche qui bouscule d’autant plus vigoureusement le protagoniste qu’il se sait d’ores et déjà en déséquilibre : ici je parle une langue de mineur. Celle que l’on pratique dessous le sol, ou dessous l’âge réglementaire. C’est selon. Voilà pour le statut de mon verbe. Décidément, la surconscience devra surseoir à ses velléités de rester faussement peinarde dans sa « Fleur de Lys Tourist Room » (Yves Beauchemin, 1974). Car à défaut de « Langagement » (André Major, 1975), elle périra. Elle le sait. « Mébi ».
Moins analysable sans doute que surtout vulnérable. Ma langue. Du dehors et du dedans ) depuis l’autre, le grand Autre of the North of Amesrisques, et depuis moi-même plus ou moins potent et empêtré dans les mots que m’offre, dit Michèle à nouveau, « le Québecway ». Je suis en pleine tempête, constamment, tout petit en mes suyers (Tremblay) dans l’œil cyclopéen de deux noroîts dont l’un, fort curieusement en effet, me flagelle du Sud pompeusement gonflé de tous ses Nouillorque (Ferron). Comment l’écriture se bat-elle, se débat-elle, en pareil tourment ? C’est ce que Lise Gauvin (et ses collaborateurs étudiants, hélas totalement restés dans la pénombre ceux-là d’une anonyme note infrapaginale) tente d’articuler sur un parcours d’un siècle et demi.
D’hier à presque demain (Ying Chen, Émile Ollivier, Sergio Kokis), de l’auteur de Trente arpents (Philippe Panneton, 1938) à celui de L’Avalée des avalés (Réjean Ducharme, 1966), par le long détour de la revue Le Nigog en début de siècle jusqu’à La (nouvelle) Barre du jour, hier encore. Et Liberté et Nuit blanche, toujours. L’essentiel y est. Ou presque. Y compris les Langevin (André), Aquin, Godin. Y amitiant les Belleau, Brochu, Vadeboncœur, Marcel et Bergeron fils du regretté Henri. Mais aussi ces femmeuses qui ont enfanté un discours puissant, émouvant, dans les grisantes-pas-encore-tout-à-fait-grisonnantes années 1970, et même au-delà (Brossard, Théoret, Bersianik, M. Gagnon, Villemaire, Ouellette-Michalska, Boucher, Lamy ) en parallèle à ces dignes filles de Roy ou de Guèvremont que sont les Blais, Giguère et autres Noël). Et mille excuses pour les nombreux innommé(e)s en rien innommables (on ne peut évidemment tous les réunir sur la présente tribune). Dont les détonants oublié(e)s de l’autrice elle-même… : Anne Hébert, Marcel Dubé, Gratien Gélinas, Gilbert Langevin, Claude Jasmin, François Ricard et Pierre Bourgault aussi, pour exemples (sinon Gilles Vigneault ou Roland Giguère, excédant un peu il est vrai le cadre retenu) quant aux auteur(e)s ; L’Action nationale ou Les Écrits (naguère du Canada français), quant aux périodiques à titre de supports d’analyse.
Ça se lit… comme un conte. C’est pourquoi d’ailleurs je ne vous en divulguerai ni les thèses, ni les hypothèses. Et pas même les conclusions. Ou si peu. Et plutôt malicieusement, dans les filets de ce texte de Paul Chamberland déjà inséré au tiers de l’ouvrage (et soutiré aux Possibles de 1987) ; lequel dit assez bien, je crois, où se loge l’écrivain-type québécois de notre temps : « Non, écrivain québécois, je ne m’imaginerai pas pouvoir échapper à une posture contradictoire. Il me faut donc en assumer l’inconfort et, pour commencer, celui d’en produire l’assertion : C’est sans réticence que je fais mienne la détermination politique à défendre l’unilinguisme francophone, à refuser la condition pathologique de diglossie que tend à imposer à la collectivité québécoise la langue du plus fort. Je ne saurais tolérer la ‘normalisation’ assimilatrice. Laquelle, comme il en va de toute position, assurée, de domination, dissimule la violence, le coup de force de la loi par un discours libéral d”alliance’. L’écrivain, s’il en est un, détourne l’usage de la langue. Écrire se détermine par des interruptions, perturbations, dévoiements de code. […] En regard du même, qu’est la ‘bonne’ communication, l’écriture n’est pas sûre, l’écrivain est suspect. Écrire, ça ne peut être ‘défendre’ ni ‘illustrer’ une ‘langue nationale’. » Inconfortable en effet, la posture.
Il faut lire le bouquin tout entier, toutefois, si l’on désire saisir véritablement le sens de ces paroles qui autrement demeurent somme toute assez abstraites, c’est-à-dire entendues sans entendement par ignorance du récit de la longue Marche à l’amour ici exposée ) Odyssée vers soi dramatique, forcenée, manifestale aussi (fêter avec les mains ?), transgressive parfois, ludique et pulsionnelle à l’occasion, séculaire enfin dans le gros temps de notre être culturel épicopathétique. En outre, et ce n’est pas rien, c’est même sans aucun doute l’essentiel, Gauvin donne aux uns l’envie d’aller aux œuvres, aux autres l’appétence d’y retourner.
Langue d’exil, langue refuge, langue symptôme, langue cicatrice, langue subversive, langue laboratoire, langue autoréflexive, exploratoire, expiatoire, langue fiction, langue friction, langue territoriale, langue imaginaire, langue symbole. Langue im-é/migrante aussi. Ma langue, amèrement mère. Parce que étrangère et maternelle tout à la fois. Ainsi le pense Madeleine. « En étrange pays dans mon pays lui-même », dira autrement Gaston Miron. Après Aragon.