Empruntant aux théories des transferts culturels, tout en démontrant une bonne connaissance de la culture allemande, Robert Dion analyse, dans L’Allemagne de Liberté, la façon dont les animateurs (André Belleau, Fernand Ouellette, Yvon Rivard, Diane-Monique Daviau, Gilles Marcotte principalement) de cette revue phare de la Révolution tranquille ont intégré une référence à la culture germanique. Prenant soin de situer cet emprunt dans le contexte québécois et de montrer que ce pays était déjà commenté par les essayistes des revues antérieures, l’auteur présente une analyse claire et surprenante qui fait d’un sujet somme toute marginal dans l’espace culturel d’ici un révélateur des questions de références à l’étranger et de détermination de la conjoncture nationale.
Les mérites de cet ouvrage sont nombreux. Dion est d’abord l’introducteur au Québec des théories des transferts culturels qui, s’appuyant sur l’étude des procédés concrets d’accès à une pratique étrangère, servent à expliquer l’acclimatation d’éléments d’une culture dans une autre. Le choix d’une revue est à cet égard éclairant, puisque la périodicité de la publication permet d’historiciser l’avènement d’une germanophilie au Québec et de la saisir dans les débats qui ont cours à divers moments. En montrant quelles œuvres, quels auteurs, quelles pratiques culturelles (les romantiques, la poésie instituée) ont été endossés par les membres de Liberté, en explicitant comment ces références cheminent jusqu’aux animateurs (par le truchement de la France, grande traductrice des auteurs allemands) et surtout en révélant la manière dont l’Allemagne sert le débat culturel et identitaire québécois, Dion propose une réflexion qui fait du transfert culturel une réception active et participative des pratiques étrangères.
Alors que le Québec cherche à échapper à sa fatigue culturelle et à colmater les brèches causées par la défaite référendaire de 1980, l’expérience allemande de Liberté sort le débat québécois des ornières de la France et des États-Unis. L’élection de l’Allemagne de Liberté comme « culture profonde et lointaine » est donc une stratégie intéressante pour mettre en perspective les apports étrangers et voir qu’il demeure possible de choisir ses références au-delà des contingences culturelles et historiques.