Il n’est pas aisé de classer L’album multicolore dans une catégorie, quoique le dernier livre de Louise Dupré se rapproche des mémoires. Il ne s’agit pas d’une narration linéaire puisqu’il commence, en quelque sorte, par la fin, la mort de la mère de l’auteure. C’est cet événement qui est à l’origine de son écriture. Louise Dupré a construit, en hommage à celle qui lui a donné la vie, un monument funéraire en trois parties qu’elle dédie à sa famille. Elle aurait pu le dédier aussi à tout lecteur qui ne peut plus parler de sa mère qu’au passé. Même si la première partie, intitulée « Une odeur de chrysanthèmes », est dépourvue de tout pathos, plusieurs passages feront probablement couler des larmes à quiconque a assisté aux derniers instants de sa mère.
« L’écrivain dans une famille, c’est celui par qui le scandale arrive », mais c’est aussi à lui qu’incombe le soin d’immortaliser un de ses membres. L’œuvre n’a rien pourtant d’un panégyrique, car Louise Dupré ne renie pas ce qu’elle avait écrit dans Tout comme elle. Elle y racontait en particulier son « ennui auprès de sa vieille mère » et la scène, dans l’adaptation que Brigitte Haentjens en avait faite pour le théâtre en 2006, était assez dure.
La deuxième partie, intitulée « Instantanés », correspond exactement au titre du livre. Louise Dupré y évoque un certain nombre de moments de la vie de sa mère, transposant par écrit des images qui se trouvent dans « l’album à la couverture multicolore » que celle-ci lui a offert, quand elle a « décidé de remettre à chacun de [ses enfants] les photos de [leur] enfance ». À travers l’histoire d’une famille, c’est aussi une époque et une classe sociale que l’auteure fait revivre. Un chapitre est consacré à la lecture, car la mère de Louise Dupré était une grande lectrice au point qu’elle avait été invitée, à la surprise de sa fille, à donner à la radio une conférence sur Madame de Sévigné.
Dans la troisième partie, intitulée « La grâce du jour », Louise Dupré fait peu à peu son deuil en relisant les livres des écrivains qui ont raconté la même épreuve. « Laisse-toi toucher par la grâce du jour » : cette phrase n’est que l’équivalent littéraire d’« il ne faut pas se laisser aller » que répétait la mère de l’auteure. Celle-ci finit par s’habituer « à penser à elle comme à une morte ». Son sentiment de culpabilité s’estompe progressivement. « Programmée pour la vie, [Louise Dupré] la fabrique, malgré la tristesse, la tristesse avec la joie dedans. » J’ai été frappée par la continuité de pensée de l’écrivaine, qu’elle s’exprime en vers ou en prose, car elle arrive à la même conclusion dans ce livre et dans son dernier recueil de poésie, Plus haut que les flammes. Cette femme est une résistante.
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