Ce petit livre entend analyser un conflit en particulier, mais il pose aussi plusieurs questions sur la place de l’armée dans une société démocratique. Si l’auteur quitte l’armée canadienne après onze années dans ses rangs, c’est, explique-t-il, « parce que [s]a foi s’est violemment heurtée à la dure réalité. Parce qu’[il a] péché par angélisme ». Explication sympathique, mais partielle.
Martin Forgues est devenu militaire « dans l’espoir de libérer des populations opprimées ». Il quitte l’uniforme parce que la réalité afghane lui a révélé que telle n’était pas la raison pour laquelle le Canada envoyait des troupes là-bas. Jusque-là, on aime le croire : s’avouer manipulé par la propagande n’a rien de honteux. Le malaise naît de ce que l’auteur, prompt à blâmer le gouvernement et l’armée, ignore que son propre conditionnement lui voile au moins une partie du problème.
« […] il est difficile de nier, écrit-il, qu’il était dans l’intérêt du Canada de participer à ce conflit au sein d’une alliance dont le Canada est membre : l’OTAN. » Visiblement, Forgues ne sait pas encore que l’OTAN n’est qu’un pseudopode européen du Pentagone et que sa caution ne vaut rien. Il a raison de souhaiter la scolarisation des jeunes Afghanes, mais il révèle l’ampleur et le blindage de ses préjugés lorsqu’il condamne de haut l’attachement des Afghans à des valeurs différentes : « Tant que la religion occupera le cœur de leur société, il n’y aura pas d’éducation possible pour l’ensemble des jeunes Afghans ». Peut-être vrai, mais est-ce à l’étranger en uniforme de le clamer ? Sans douter de la sincérité de Forgues et des soldats canadiens tombés en Afghanistan, on constate ainsi que la formation (?) reçue ne guérit pas toujours le complexe de supériorité.
La conclusion étonnera tout autant. Tout en reconnaissant que les médailles militaires dépendent du jugement subjectif porté par un officier, Forgues réclame pourtant leur multiplication. « Ainsi, les Forces canadiennes pourraient rattraper l’occasion manquée d’honorer à leur juste valeur des actes de bravoure dont le prix est souvent lourd à payer pour les soldats qui s’y livrent. » Cohérence ?
Ultime aberration, Forgues en veut au commandement militaire de n’avoir pas convaincu le gouvernement Harper de maintenir ses troupes en Afghanistan. Rappelons-lui le jugement de Lamartine, poète et député : « Une armée qui conteste est comme la main qui veut penser ». D’ailleurs, Harper a-t-il besoin qu’on alimente son militarisme ?