Le roman paysan québécois traditionnel a habitué son lectorat à des caractéristiques indispensables dont peu d’auteurs ont osé se dispenser : un univers pastoral paisible où il fait bon vivre, des travaux d’agriculture menés avec fierté et vaillance, un respect indéfectible pour les valeurs de la religion catholique. Dans L’accident du rang Saint-Roch, Jean-Marie Poupart a pris ces éléments à partie, au point de recréer l’univers du terroir selon des critères inhabituels. Ce très bref roman (ne s’agirait-il pas plutôt d’une longue nouvelle ?) raconte l’histoire étrange d’une famille tourmentée par des rapports troubles. Le père, figure usurpatrice et dominatrice, connaîtra un sort peu enviable aux mains de son épouse et de ses fils ligués contre lui. À vrai dire, le roman s’articule autour du meurtre « accidentel » du père par les membres de sa famille, lesquels cherchent à justifier leur acte, quoiqu’ils n’affectent pas le moindre remords. Mais il y a plus dans ce récit empreint de violence : au-delà des actes posés par des personnages peu sûrs de leurs aptitudes à supporter le poids de la vie, ce sont les questionnements d’individus angoissés qui marquent le récit – les considérations sur la mort, sur la foi et sur l’importance des liens filiaux enjoignent à la réflexion. Jean-Marie Poupart a réussi à créer un récit bien de son époque.
Cette réédition d’un roman paru initialement en 1991 donne à apprécier la virtuosité d’un conteur-né. Le rythme rapide de la narration s’allie avec harmonie à un style tout en ambiguïtés qui accentue les temps forts d’une intrigue tordue. Certes, quelques digressions interrompent çà et là cet élan (des commentaires portant sur le processus d’écriture, notamment, éloignent le lecteur du propos principal, tout en démystifiant le travail de l’auteur), mais ces apartés s’intègrent à l’ensemble et en appuient le tempo. Le lecteur goûtera enfin avec agrément les touches d’ironie qui, bien ciblées, désamorcent l’atmosphère pesante du récit. Par exemple, assister au repas somptueux que s’offrent la mère et ses fils pendant que le père agonise dans la cabane adjacente à la maison crée un effet pervers mais en même temps amusant. Roman au ton peu habituel, L’accident du rang Saint-Roch procurera frissons et émotions aux amateurs d’histoires morbides.