Robert Lévesque a beau, flamberge au vent, n’être l’ami de personne, il sait combler bien des attentes. La verve est là, la formule pique aux endroits sensibles, les références proviennent d’une large gamme d’horizons. Qu’il puisse tirer de ses dossiers deux biographies plus politiques que théâtrales n’étonnera que ceux qui aiment cantonner les auteurs à une unique plate-bande.
De l’examen de Lévesque, le curé Labelle se tire avec honneur. Peu raffiné, il compense par une bonhomie qui ne saurait pourtant tromper : à fréquenter la faune politique, le puissant curé a forcément appris à ignorer fermement les calculs dont il peut tirer profit sans avoir l’air de les approuver. Art tôt acquis et sagement dissimulé. Camillien Houde, c’est autre chose : la truculence ne parvient jamais à voiler l’ambition fébrile ou la fabuleuse plasticité des principes. L’homme explore toutes les niches, non pour choisir celle qu’exigent ses principes, mais pour savoir où renouveler sa clientèle. Les deux portraits confirment que la curiosité de Lévesque le rend aussi bon observateur du politique que des arcanes du théâtre.
On s’étonnera pourtant, malgré les précautions de la présentation, que les deux colosses écopent du même qualificatif. Le populisme leur est-il si commun ? Chez Camillien, le flair constitue « l’essentiel de sa politique », au point de rendre négligeable ou même inexistante la cohérence sociale ou politique. Chez le curé Labelle, au contraire, la visée est claire, inoxydable, envahissante ; c’est elle qui mobilise le charisme et le populisme. Dans un cas, le populisme est l’objectif ; dans le second, un instrument.
L’historien Lévesque résiste mal à la tentation de prononcer verdict sur verdict sur plus d’enjeux que nécessaire. Peut-être convaincrait-il s’il prenait le temps de s’expliquer ; il laisse place à la réticence quand il prononce l’anathème sans le justifier. Ainsi Lionel Groulx est un « patriotard de droite qui a pris la relève de Henri Bourassa », Olivar Asselin, « un mercenaire de l’écriture », Adélard Godbout, un politicien « terne » ; « les remous de l’affaire Guibord ont engendré chez ces prêtres dont les pères ont été Patriotes une dynamique nouvelle face à la question nationale »… Raccourcis qui se substituent aux démonstrations et qui auraient pu patienter jusqu’au prochain bouquin.