Récit autobiographique de la directrice de la rédaction de la revue Art Press. Jusque là, ça va. Que la spécialiste expose franchement sa vie sexuelle active, et déjà les langues de la moralité se dénouent pour dénoncer ce que tout un chacun sait. On a en effet pu lire tant de bêtises sur ce livre qui n’est ni pornographique, ni érotique, ni scandaleux, qu’on constate une fois de plus à quel point la critique, sitôt qu’elle flaire la chair, voit rouge et tombe dans l’incontinence.
De quoi s’agit-il ? Une femme qui n’avait jamais « trop réfléchi » sur sa sexualité entreprend de le faire au moyen de l’écriture. Trop est ce mot qu’on entend peu mais qui fait le partage entre le débordement du nombre (à partir d’un certain point, on ne compte plus les « partenaires ») et le caractère particulièrement circonscrit de l’acte de raconter. Peu de sensations en somme. Des émotions, que dalle. L’exactitude du scalpel toutefois, un détachement presque placide, jusqu’à la dissociation.
Très tôt dans la jeunesse manifestée, les fantasmes de la baiseuse structurent le réel au lieu de s’y opposer. Ils participent à la constitution, précise Catherine, de « la vaste plaine de mon désir », infinie surface noyant toute possibilité de jeu de séduction en offrant aux membres de la famille humaine qui le désirent une prise directe sur le fond obscur de la différence sexuelle. Une langue précise, minutieuse, en même temps froide, glaciale, et dotée d’une stupéfiante connaissance des densités, tonus, grains, élasticités, virtualités des organes. Par exemple, cette notation, qui vaut la peine d’être méditée : « Oh, je n’ignore pas l’anéantissante suavité qu’il y a à effleurer une peau délicate sur une étendue sans bords, ce qu’offrent presque tous les corps de femmes et beaucoup plus rarement les corps d’hommes ! » L’océan du féminin se donne dans le génie léger du jeu, comme si les sens niaient les voiles de l’approche de l’autre alors même qu’ils les font surgir dans l’annonce même du mouvement intemporel.
Peut-être est-ce parce qu’elle est coupée de son corps dans l’exposé scientifique de son désêtre que Catherine peut aussi aisément afficher une « culture d’entreprise », celle-ci légitimant une performance du corps le niant au moment précis de son accomplissement. On comprend que ce livre n’a rien à voir avec ceux de Sade. Et qu’il ne comporte rien de particulièrement déplacé.