Il démarre lentement, ce nouveau-né du célèbre Prix Goncourt Andreï Makine. La première partie de La vie d’un homme inconnu tient plutôt de la mise en contexte que de l’exploration du thème annoncé. Le protagoniste et réfugié politique Choutov vit encore en France, en rupture avec sa jeune Léa et le milieu littéraire parisien. Il n’est pas encore retourné dans sa Russie natale. Le véritable homme inconnu ne sera introduit que plus avant, par Iana, ancien amour et hôtesse de Choutov, affligée du désagréable contretemps qui lui tombe dessus : « […] on doit vivre avec un grand-père qui n’est pas à nous ! »
Introduit mais pas encore en action, car l‘homme inconnu n’arrive vraiment qu’en troisième partie, après que Makine eut terminé sa fine analyse du Saint-Pétersbourg d’aujourd’hui, des maîtres de la nouvelle Russie, des omniprésents oligarques. Soudain, le voilà, ce Volski, avec son amour Mila, magnifiques personnages tels que Makine sait si bien en construire. Le roman commence enfin. Surgissent les horreurs du siège de Leningrad, plus tard renommée Saint-Pétersbourg, les errements tragiques dans la Russie en ruine des années 1940, les abominations que connaissent tous les peuples aux prises avec des démons et des batailles qui ne sont pas les leurs.
Après une accalmie, après avoir goûté aux simples joies de l’après-guerre, Volski et Mila plongent dans la désintégration ultime de l’être humain, dans les camps de Sibérie voulus par Staline, dictateur fou. Et ce sera en compagnie de Volski que l’écrivain russo-français et alter ego de Makine prendra vraiment son élan. « Choutov sent soudain avec violence qu’il n’appartiendra jamais à ce monde russe qui renaît maintenant (« Tant mieux ! » se dit-il) dans sa patrie. »
Du grand Makine, tel que nous avons appris à le connaître et à l’aimer.