Ce pan de l’ambitieux chantier lancé par William T. Vollmann est en place depuis 1990 ; il constituait l’avant-garde d’un ensemble baptisé Le cycle des sept rêves. L’auteur projetait d’y raconter l’Amérique depuis son imprécise présence dans les légendes nordiques jusqu’à ses traits significatifs les plus affirmés.
Qu’on n’attende pas de Vollmann le morne équivalent d’un précis d’histoire, de géographie ou de sociologie ; acceptons plutôt d’être constamment tenus en déséquilibre fiévreux par l’afflux des visions épiques et des percées poétiques. Que le calendrier lui-même se le tienne pour dit : l’écrivain délaissera à la minute de son choix les explorations vikings pour mettre brièvement le pied sur le sol de 1987, avant de revenir selon son caprice au temps mal balisé des transhumances incertaines. Le périple obéit à une boussole, mais Vollmann exerce pleinement sa liberté de timonier seul maître du cap. À son commandement, l’image de l’Amérique émerge peu à peu avec ses audaces et sa fureur.
Visionnaire, inspiré, intuitif, Vollmann mérite aussi les épithètes inverses, celles de studieux, de méthodique, de curieux impavide et discipliné. Il a potassé les riches et volumineuses sagas islandaises, tantôt cherchant et trouvant le dénominateur commun entre les sagas du Vinland et celle de Snorri le Gode, tantôt accordant une attention particulière à Éric le Rouge (cf. Sagas islandaises, La Pléiade, 1987). Il n’a pas négligé pour autant Farley Mowat dont le livre Les Hauturiers porte pourtant en sous-titre l’affirmation suivante : Ils précédèrent les Vikings en Amérique (XYZ, 2000). De cette masse d’informations et d’hypothèses, l’auteur tire sa propre synthèse : il la revendique comme sienne sans arrogance ni tremblement. Deux traits de son récit confirment sa familiarité avec le terroir nordique : d’une part, la femme y occupe tout son espace ; d’autre part, la justice y est compensatoire plutôt que punitive. Ainsi, la trajectoire ferme et même brutale de Freydis Eiriksdottir montre de quoi une femme est capable même là où règne la force ; ainsi, même le meurtre ne suscite pas la vendetta méditerranéenne : « Mon peuple est fâché, bien sûr, de ce que tu aies tué l’un des leurs, mais je saurai apaiser leur courroux si tu offres une compensation ».
Autre atout de l’ouvrage, il révèle généreusement les démarches de Vollmann auprès de mille sources et départage clairement ce que reconnaît le consensus scientifique et ce que le romancier a construit sur ce substrat. Superbe entrée dans une colossale évocation de l’Amérique.