La tierce personne, le deuxième roman de Serge Lamothe, est la suite de La longue portée, paru en 1998. Cependant, nul n’est besoin d’avoir lu celui-ci pour apprécier celui-là même si la lecture de ce dernier roman nous donne l’envie de lire le premier. Non pas pour mieux comprendre, apprécier suffit amplement, mais plutôt pour replonger dans ce surprenant univers, ou du moins un semblable.
L’univers de Mathieu Arbour, le principal narrateur, se situe, dans l’espace, en partie au Québec et se déploie, dans le temps, des années 1960 à aujourd’hui ; les espaces inconnus s’appellent « Delaware » ou « cimetière des éléphants » Pas de quoi faire rêver, excepté à travers les yeux d’un enfant ! La tierce personne n’est cependant pas un de ces romans de l’enfance qui abondent au Québec depuis Ducharme ‘ qui n’a jamais été égalé quoiqu’on en pense. Non, ici l’enfance et le rêve sont des oasis où un narrateur cynique va adoucir un instant une gorge éraillée par le sable. Adulte, voici ce que Mathieu Arbour pense de ses propres enfants : « [Ce] sont des terroristes, des guérilleros. Mieux : ce sont des mines antipersonnel [ ]. Les week-ends en famille étaient un véritable supplice. Pas étonnant que je les aie tous passés dans l’attente fébrile du lundi matin qui me voyait, enchanté et ravi, reprendre le chemin du bureau. » Et lorsqu’il re-songe à la sienne, son enfance : « Aux dires de mon frère Luc, le Delaware était une contrée lointaine, africaine ou exotique. On y élevait diverses espèces de singes rieurs, d’oiseaux de proie et de scarabées géants. »
Cette relation du narrateur avec son frère constitue la trame de fond du roman. Mais comme toute trame qui se cache derrière l’ouvrage, il aurait peut-être été préférable qu’elle s’estompe un peu plus derrière les mots et les phrases. Paradoxalement, l’histoire abracadabrante qui nous est racontée aurait très bien pu ne pas être : Serge Lamothe possède un talent suffisant pour se passer de raisons d’écrire des histoires et écrire tout simplement. On se revoit donc dans quelques jours, sinon quelques semaines, à La longue portée