Traquer le quotidien, le réel, sous ses formes les plus diverses, les plus anodines, voilà le projet du dernier livre de Philippe Delerm. 36 tableaux, comme autant de témoignages de notre inaptitude à voir, à goûter le monde dans lequel nous vivons ; 36 invitations à desceller notre regard, à découvrir les multiples couches de réalité qui recouvrent la surface des choses. Plonger dans l’univers de Philippe Delerm, c’est en quelque sorte écarter le rideau avant que le spectacle ne commence, apprécier chacun des instants qui précèdent l’entrée en scène des comédiens, palper l’intensité du moment avant qu’il ne se livre entier au temps, à l’usure, à l’oubli.
Philippe Delerm s’amuse tantôt à calquer les codes qui dictent nos comportements en société et, ce faisant, il perce avec une douce ironie les véritables motivations, ce qu’en d’autres moments nous nommons convenances sociales, qui nous animent. Qui, par exemple, ne s’est pas un jour retrouvé face à un étranger dont on découvre trop tard qu’il s’agit de l’ancien camarade de classe, d’un collègue, ou pire, d’un voisin dont le regard déjà vous condamne à un échange que vous savez inutile, mensonger. « C’est là que l’hypocrisie sociale accumulée pendant des années vient vous sauver. Oui, cette espèce d’aisance valable en toutes circonstances » Voilà, entre autres choses, ce que contient ce recueil de petites proses, toutes plus assassines les unes que les autres, à tout le moins en ce qui concerne l’ennui.
Qu’il nous entraîne chez le dentiste, chez le coiffeur, au bistrot lyonnais, dans le métro, Philippe Delerm sait chaque fois faire ressortir l’élément qui nous fait sourire, qui nous replonge à notre tour dans l’attitude de qui voudrait échapper à tous ces assaillants qui font trop souvent du quotidien ce traquenard parfait qu’il sait si bien nous dépeindre avec cette douce ironie qui en rend la lecture si agréable.