Croyez-vous que la science est vraiment objective ? Non, répond Karen Messing, qui ne se contente pas de critiquer.
La préface de Maria De Koninck a beau ajouter à la crédibilité du livre, l’auteure pouvait largement s’en passer pour la traduction de son ouvrage capital sur la santé des femmes, fruit de vingt ans de recherches et publié pour la première fois à Philadelphie en 1998. Entre son enseignement à l’UQAM et les conférences internationales, la très réputée généticienne a rédigé ce livre à l’intention des chercheurs, des patrons, des syndicats et des travailleurs afin de dénoncer la méconnaissance scientifique de la santé des travailleuses, méconnaissance qu’elle n’hésite pas à qualifier d’ignorance délibérée.
Les trois premiers chapitres étudient la différence entre la santé des travailleuses et celle de leurs collègues masculins. On y observe que la nature des tâches ‘ dites légères ‘ majoritairement occupées par les femmes suscite peu d’intérêt quant aux facteurs qui affectent la santé des travailleuses. S’il est aisé de reconnaître le risque, pour la santé, de soulever quotidiennement des poches de farine de quarante kilos, les effets des insultes multipliées que doivent endurer les réceptionnistes sont en revanche passés sous silence, de même que les postures acrobatiques des préposées à l’entretien chargées de récurer les toilettes des tours à bureaux. Les troubles que vivent les femmes et que nous devrions associer à leurs conditions de travail plutôt qu’à des problèmes d’ordre personnel, et, conséquemment, la difficulté pour les travailleuses à se faire indemniser en cas de maladie sont ainsi très souvent ignorés. Les chapitres 4 à 6 expliquent pourquoi les scientifiques se désintéressent des besoins des travailleuses. Puis dans les chapitres 7 à 10, Karen Messing expose le traitement que réservent les scientifiques aux problématiques concernant les femmes. C’est là que l’auteure est si intéressante : elle ose porter un regard lucide et critique sur la culture scientifique érigée en institution immuable par les hommes. Enfin, le dernier chapitre propose des solutions, de nouveaux outils de travail, de nouvelles façons de faire et encourage le dialogue entre les disciplines.
Pour une fois, un ouvrage scientifique ose critiquer la science et ses disciples. Sa riche bibliographie intéressera par ailleurs les chercheurs. Les éditions du Remue-ménage confirment ici leur statut d’éditeur judicieux en matière de recherche féministe : souhaitons qu’ils publient aussi le prochain essai de Karen Messing, qui sera traduit en cinq langues.