Nous sommes en décembre dès la première page et le dernier mois de l’année traverse le livre de sa froideur, de sa solitude, d’une forme étrange de douceur, comme le parfum et la couleur des lilas.Nous sommes dans une cellule familiale féminine : la narratrice, la mère, la sœur, d’où pointe la conscience d’une blessure. Quelque chose gronde par en dessous dans le premier livre de Stéphanie Roussel. Là où le père est évoqué, la poète écrit l’absence, la menace, l’agression, l’oubli. L’un des seuls réconforts se trouve dans la chaleur de l’eau d’un bain ou d’une douche. La narratrice s’y révèle à vif, la peau retournée. Sa posture évolue lentement : elle ressent, puis nomme ses blessures, elle les regarde sous chaque angle, puis passe du côté de l’apprivoisement. Elle apprend à vivre avec ce qu’on lui a pris, avec la pauvreté, les vertiges de la dépression et de la folie, avec les deuils et les trous que tout cela engendre. La maison est peut-être le lieu de la protection, mais surtout, celui des dangers, un espace à détruire, éventuellement. Ces mots, en tout début de livre, donnent le ton : « chez moi je ne suis pas en vacances / je suis absente ».Je ressens cette absence dont Stéphanie Roussel parle, à travers la courageuse prise de parole par l’écriture de l’autrice. « Courageuse », puisqu’elle s’aventure en zones sombres pour offrir une écriture sans compromis. C’est dans l’honnêteté que les poèmes de l’autrice trouvent leur justesse. Ce qui me garde attentive, à la lecture de cette suite de tableaux qui peuvent donner l’impression de partir dans toutes les directions (enfance en milieu défavorisé, passages à l’hôpital ou sous la loupe de psys et d’analystes qui cherchent à déterrer les secrets, dépression, amours déçues, refus de laisser l’amour entrer dans sa vie par réflexe de protection), c’est la voix de Stéphanie Roussel. Une voix qui ne bascule pas dans l’impudeur, mais tout de même, qui déballe tout, peut-être pour s’alléger du poids de ce qui la ronge ; une écriture collée au quotidien et qui ne cherche pas à faire dans la dentelle. Pas de racolage entre ces pages, pas d’images belles pour être belles non plus. La poésie émerge de ce qu’il me semble une nécessité, pour l’autrice, de dire sa vérité, du mélange aussi de force et de vulnérabilité dans la voix qui sonne autant comme celle d’une enfant blessée que celle d’une guerrière.Dans la suite « Les lilas meurent avec moi », en début de recueil, l’écriture atteint un fort niveau d’émotion. Le mal-être est embrassé, la narratrice n’est pas certaine de ce qu’elle gagne à chercher à guérir. Quand Stéphanie Roussel écrit : « je n’entends ni démons / ni extraterrestres rien d’autre que des hommes blancs / un sifflement perpétuel / mon nom chuchoté jusqu’à ma résurrection », je vois une forme d’abandon à ce qui est, la fin d’un combat, le début d’un autre pour l’amour de soi, la vie qui s’accroche.Si les sujets sont traités de façon très intime, avec ce que ça comporte de mise en danger, j’ai parfois l’impression que l’émotion est gelée et que la narratrice nous l’expose quand même, sachant que les lecteurs seront peut-être aussi figés qu’elle devant cette charge douloureuse. L’engagement de Stéphanie Roussel est entier face à ce qui cherche à se dire, même si brisé, même si imparfait. C’est dans cette faille que se situe la force de La rumeur des lilas.
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