J’aurais voulu rompre l’unanimité au sujet du dernier livre de Cormac McCarthy, mais force m’est d’admettre qu’on a tout à fait raison de porter cette œuvre aux nues. L’histoire éveille ou ravive en nous l’angoisse de mourir, et la peur de voir disparaître le monde. Un homme et son fils essaient de survivre sur la route qui les mène vers le sud, quelques années après un cataclysme qui a détruit toute forme de vie, à part une poignée d’humains qui s’entre-dévorent. Une couche de cendre recouvre le paysage desséché, les arbres morts qui s’effritent, les maisons saccagées, les cadavres. Un univers à la fois hyperréaliste et beckettien par son absurdité. L’écriture se situe entre le Faulkner du Bruit et de la fureur, avec ses discours intérieurs, les phrases saccadées d’un James Ellroy et la distance d’une Marguerite Duras. Minimaliste, le style évoque plus qu’il ne dit. L’auteur contourne ainsi le piège de la vraisemblance et son pendant agaçant, l’invraisemblance. Nous accompagnons simplement les deux personnages dans leur lutte quotidienne contre la mort : repérer un abri, trouver à manger, éviter de se faire manger. Ce qu’ils furent avant, ce que la vie leur réserve, le père ne veut surtout pas y penser, sous peine de tomber dans la désespérance. Derrière les petits gestes décrits froidement par le narrateur, comme le changement de la roue d’un caddie ou la confection d’un toit avec une bâche, on devine un gouffre, l’imminence de la disparition donnant à chaque lutte une couleur pathétique. La vie se raréfie toujours, il n’y a plus d’oiseaux, la terre ne donnera plus de fruits, les livres ont pourri. Au fil de cette marche, on saisit à quel point l’humain est incapable de prendre conscience dans tout son être de l’absurdité de sa condition. Même s’il ne croit plus en rien, qu’il sait que personne, jamais plus, ne se souviendra de lui, il ne peut se débarrasser de la volonté de vivre, et, parfois, de croire en l’âme.
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