Dans le sport, les statistiques jouent un rôle important ; elles valident les récits héroïques entendus ou vus, elles quantifient des exploits, donnent un caractère immuable à ce qui advient dans l’instantanéité d’une joute. Par elles, on saisit la durée d’un sport, on compare les époques, on donne une aura d’objectivité aux coups de cœur ressentis pour une équipe ou pour un joueur. Pourtant, les statistiques sont toujours biaisées, conséquences d’un angle de vue particulier. Les chiffres sont peut-être absolus, comme les 92 buts de Wayne Gretzky ou les 110 points de Mats Näslund (mon joueur !), mais ils racontent aussi des histoires et contextualisent différemment ces données qui en elles-mêmes disent rarement le fond des choses. Dans son essai au titre peu approprié, Philippe Navarro tente d’appliquer au hockey les leçons des mathématiques pour tenter de saisir ce qui fait gagner une équipe. Reprenant certains acquis de la « sabermétrie » (l’étude des statistiques au baseball pour contrer les vérités de La Palice appliquées par les gérants sans remettre en cause les lieux communs), Navarro fait certes œuvre utile pour saisir la spécificité du hockey et déterminer de nouveaux moyens pour bien jauger la valeur d’une équipe ou d’un joueur, mais il montre surtout à quel point l’examen scientifique de ce sport est en retard sur le baseball. Bien sûr, la cadence coulante du hockey fait en sorte que les actions ne s’enregistrent pas de la même manière que pour un sport de remise au jeu comme le baseball, où chaque tir est archivé, toutefois ce que propose Navarro est quand même à des lieux des avancées actuelles de la sabermétrie.
L’essai cherche à saisir ce qui fait gagner une formation et procède ainsi du plus collectif au particulier, de l’équipe au joueur puis au repêchage. Grâce à des études mathématiques, Navarro montre que la cohésion défensive aide davantage à gagner que l’explosion offensive, en plus de cerner comment les formats de compétition (saison et séries éliminatoires) ont des conséquences sur la discrimination entre les clubs. Cette section est un peu longue et fastidieuse, parce qu’elle bouscule peu de préconçus sur le sport ; la suivante, qui vise à pondérer les performances individuelles en fonction des variations entre les époques a davantage de charme, puisqu’elle donne un moyen relatif de comparer les joueurs, qu’ils aient fait bonne figure durant les belles années des montées à l’emporte-pièce (années 1980) ou lors du triomphe de la trappe (années 2000). Des carrières entières semblent ainsi surévaluées alors que d’autres acquièrent une valeur qui leur était déniée. La dernière partie sur le repêchage insiste sur la valeur relative des choix en fonction des rondes de sélection et postule qu’au-delà du quinzième rang, la part de hasard est assez grande. Finalement, cet essai est plaisant pour un amateur de statistiques comme moi, malgré une écriture qui oscille entre la lourdeur et un humour pas toujours réussi, mais il montre surtout l’ampleur du travail à entreprendre pour bien comprendre la signification individuelle et collective des chiffres qui disent le hockey.