Après Du bon usage des étoiles et Les larmes de saint Laurent, Dominique Fortier revient avec un nouveau roman qui, cette fois, entraîne les lecteurs en Louisiane au milieu du XIXe siècle.
Ève, une jeune Noire, devient à la fois la compagne de jeu et la servante d’Eleanor McCoy. Les deux jeunes filles grandiront ensemble. Tandis que sévit la guerre de Sécession, Eleanor épouse Michael Arlington et obtient le droit d’emmener Ève sur la riche plantation menée d’une main de fer par la mère de Michael. Délaissée par son jeune mari qui lui préfère ses livres, Eleanor est attirée par son beau-frère Samuel mais, pour son malheur, elle découvrira ce qui se trame dans la serre aux roses où elle ne veut plus mettre les pieds… Le destin d’Ève, pour sa part, la mènera sur les traces de sa famille perdue tandis qu’apparaissent peu à peu dans les États sudistes vaincus des groupuscules de personnages haineux sous leur cagoule blanche.
Si les parcours entremêlés de la Blanche et de la Noire constituent le cœur de La porte du ciel, la construction du roman déconcerte avec ces brefs récits qui s’y intercalent. Quelle importance, en effet, faut-il accorder à l’histoire du prêtre surgi un matin pour réclamer de l’argent afin de construire une église sur une île au beau milieu du bayou ? Et que vient faire celle des dernières volontés d’un condamné à mort de la prison d’Arlington, en 1950, dans ce roman qui se passe dans les années 1870 ? Ou celui de cette étudiante de l’université venue interviewer les femmes de la coopérative de quilting bee dans les années 1960 ? Que penser de certains passages qui semblent sortis tout droit d’un documentaire sur l’époque ou la région ? Et ces descriptions de courtepointes qui ponctuent tout le roman ?
Là réside le secret de cette structure romanesque étonnante. Tant de façon concrète que métaphorique, La porte du ciel reprend l’art de la courtepointe pratiqué par les Noires du sud des États-Unis. Un art curieusement moderne dont Paul Klee aurait pu s’inspirer pour l’une de ses œuvres « formée de traits horizontaux de différentes longueurs et d’épaisseurs diverses, mauves, gris, magenta, noir, cramoisi et lilas, entrecoupés de carrés orange » dont Nettie assure qu’elle est moins réussie que la courtepointe du même style fabriquée par sa grand-mère autrefois. Ainsi en est-il des digressions que Fortier intègre ici et là et qui, à la fois, se distinguent et participent entièrement à la force du récit.
Par contre, on s’explique moins bien l’intégration soudaine de deux courts monologues directs, l’un d’Eleanor et l’autre, plusieurs chapitres plus loin, d’Ève, dans ce roman écrit à la troisième personne. On regrette aussi un certain déséquilibre entre une Eleanor bien incarnée dont on comprend les sentiments et les motivations et une Ève plus floue et insaisissable. Ces petits bémols n’empêcheront pas les lecteurs de se plonger avec grand plaisir dans La porte du ciel.