Ce n’est pas sans indifférence que l’on constate que cet ex-footballeur français de haut niveau, membre de l’équipe nationale ayant remporté la Coupe du monde 1998, s’est converti en champion des droits de la personne, et qu’il signe ici… un huitième ouvrage.
Originaire de la Guadeloupe, arrivé en France à neuf ans, Lilian Thuram prend vite la mesure de sa différence, subissant régulièrement les commentaires de ses collègues qui lui rappellent méchamment sa couleur de peau.
Dans cet ouvrage ciblant spécifiquement la « pensée blanche », M. Thuram pourfend ce qu’il prétend être une construction politique fabriquée de toutes pièces pour assujettir des peuples à des intérêts commerciaux, créer des hiérarchies arbitraires, afin de mieux exploiter, dominer. Bref, comme il l’écrit, la pensée blanche est un « racisme inavoué ».
Cette construction mythologique est malgré tout devenue dominante et mondialisée, dit-il. Prédatrice, cette idéologie a de profondes racines historiques, et se fait encore sentir de nos jours.
Qui sait que la France a adopté en 1685 un Code noir, considérant les Noirs comme des « biens meubles », ayant évolué jusqu’à un Code de l’indigénat, qui n’a été supprimé qu’en 1946 ?
Les Blancs doivent-ils faire acte de contrition pour autant, devant ce sentiment inconscient de supériorité qui est le leur ?
Non, dit l’auteur. Ce sentiment est une vieille habitude, une supposée « évidence » chez nombre de Blancs, ancrée dès l’enfance. Ce biais implicite, cette « culture de l’effacement » gomme les autres cultures. Mais il faut que les Blancs en prennent conscience, pour se libérer, pour sortir de cette prison identitaire, et devenir pleinement humains.
Donc : pas de rébellion à engager contre les Blancs… il faudrait plutôt les inciter à rejeter ces catégorisations raciales porteuses de violences, d’injustices, et ainsi éviter de les reproduire.
Mon appréciation est que le propos de ce livre s’inscrit dans la droite ligne d’une mouvance intellectuelle présentement montante aux États-Unis, et qui fait de la « suprématie blanche » le facteur, unique, d’explication de tous les malheurs du monde, anciens comme actuels. Qui soutient que tout, ou presque, est lié à une seule cause, la pensée des Blancs, pour expliquer à la fois les inégalités, les conflits internationaux et ainsi de suite.
En important en France une conception purement américaine, intimement liée à l’histoire spécifique de ce pays, M. Thuram risque de contribuer à radicaliser les positions qu’on voit déjà, hélas, apparaître en France. Car dans ce pays aussi, même dans les milieux intellectuels, les insultes ont commencé dans plusieurs débats à remplacer la discussion décente et honnête.
On suggérerait à l’auteur de parcourir le dernier ouvrage de Pascal Bruckner (Un coupable presque parfait. La construction du bouc émissaire blanc, Grasset, 2020), qui écrit : « L’homme blanc est devenu le nouveau Satan, celui que son anatomie même désigne comme violeur ontologique, et sa couleur de peau comme raciste, sa puissance comme exploiteur de tous les ‘dominés’ et ‘racisés’ ».
Et M. Bruckner de conclure, fort à propos, sur les effets néfastes d’une telle conviction : « Un discours qui balaie la méritocratie et l’idée d’humanité commune ».