Dans son dernier essai paru récemment aux Presses universitaires de France, Thomas de Koninck s’interroge sur la nouvelle ignorance qui sévit en Occident, au sein d’un règne obscurantiste très clinquant, plein de paillettes et orchestré par quelques grands bonzes du multimédia, dans un monde fait de publicités tapageuses qui ne prône plus que les bienfaits de la mondialisation. Se référant à Ignacio Ramonet, l’éditorialiste du Monde diplomatique, l’auteur crie aux intellectuels qui ne seraient pas encore contaminés par les phosphorescences de la télévision : « Attention ! La barbarie n’est pas loin ! »
Cette barbarie, pour reprendre un concept déjà proposé par George Steiner dans Réelles présences (Gallimard, 1991), peut même être à la solde du plus grand art comme de l’idéologie la plus structurée. Quel constat ! L’art, le beau, la pensée la plus brillante sinon la plus géniale, celle d’un Heidegger ou d’un Nietzsche, n’empêcheraient en rien les vagues du nihilisme et de la déconstruction qui déchirent actuellement nos rivages. La nouvelle ignorance, comme toutes les ignorances passées, croit qu’elle sait, gonflée d’une fantastique somme de savoir informatisé, par l’intermédiaire d’Internet par exemple, suggérant aux masses que la communication globale et planétaire est devenue une panacée pour tous les maux présents et à venir.
Dans La nouvelle ignorance et le problème de la culture, Thomas de Koninck rappelle que les ressources humaines capables de contrer la barbarie ne seront jamais libérées de l’éducation et de l’apprentissage des codes et des signes du langage. De nombreux philosophes sont cités, ainsi que plusieurs auteurs québécois comme Marc Chabot, Fernand Dumont et Pierre Vadeboncœur.
J’ai été conquis par ce livre toujours animé par la foi en la dignité humaine, de la même façon que j’avais lu avec enthousiasme l’essai précédent, paru en 1995 chez le même éditeur. L’auteur ne se gêne pas pour dévoiler l’angoisse que lui inspirent toutes les formes de cette nouvelle ignorance généralisée. Comme bien d’autres universitaires, il a dû subir les coupures budgétaires imposées par une administration soumise aux puissances économiques qui restent cyniques devant l’horreur dans laquelle elles jettent les peuples, de plus en plus souvent et de plus en plus vite.
Cet essai apporte une pierre de plus au fragile édifice d’un humanisme véritable qui ne peut se permettre d’oublier la barbarie. Comment survivrons-nous ? Par la force de l’amour, celui qui s’exprime dans les textes les plus vivants de ce siècle, ceux de Camus par exemple.