« Et comment vous appelez-vous ? – Attendez, je l’ai sur le bout de la langue. » Ainsi commence le cinquième roman d’Umberto Eco. Nous sommes en 1991 : Giambattista Bodoni, dit Yambo, sort d’un coma provoqué par un accident vasculaire cérébral. Cet homme qui a tout oublié de son passé, c’est l’intellectuel, l’érudit par excellence. Il ne reconnaît plus ses proches, ne se rappelle pas sa propre vie mais a tout retenu de ses lectures : « Je préférerais avoir oublié Martin Guerre et me rappeler où je suis né ». Mais il en est ainsi, la mémoire de Yambo n’est d’abord que le souvenir des choses lues.
Parti se reposer dans sa maison de campagne, Yambo redécouvre les livres de sa jeunesse, romans de cape et d’épée, revues, bandes dessinées – d’où les nombreuses illustrations du livre -, et tombe par hasard sur l’histoire de la reine Loana, héroïne idolâtrée d’un album d’enfance. Au contact des ouvrages de propagande mussolinienne ou des BD qui mettent en scène d’invincibles héros américains, entre « visualisation » de défilés militaires de l’Italie en guerre et images de vamps étatsuniennes, Yambo retrouve peu à peu la mémoire : « J’étais revenu dans le grenier, et je commençais à craindre que de mes années d’écolier il ne fût rien resté, quand m’est tombé sous les yeux un gros carton fermé par du ruban adhésif, où on avait écrit Primaires et Secondaires Yambo ». Alors commence pour lui un long cheminement vers les sources du passé, et pour le lecteur une fresque historique remplie du bruit, sécurisant ou sinistre, que font les pages d’un livre quand on les tourne. Poids de l’histoire, purgatoire de l’enfance et présence de Lila, l’amour de jeunesse.
On connaît la passion dévorante d’Umberto Eco pour les livres – professeur de sémiologie à l’Université de Bologne, essayiste renommé, romancier à succès avec son premier roman Le nom de la rose, il est aussi un réputé collectionneur de livres anciens et sa bibliothèque milanaise, dit-on, contiendrait à elle seule quelque 50 000 ouvrages On ne s’étonne donc pas que La mystérieuse flamme de la reine Loana se présente comme une impressionnante fresque encyclopédique. L’érudition, on s’en doute, est au rendez-vous. Mais plus surprenant chez Eco est le dépouillement stylistique du roman, presque ascétique par moments.
Il n’a jamais été facile de résumer un livre d’Umberto Eco, ce le sera moins encore avec La mystérieuse flamme de la reine Loana. La lecture n’en est pas toujours facile tant est omniprésente l’érudition de son auteur et dense l’inventaire littéraire. Il faut sans conteste une concentration supérieure à la moyenne pour en venir à bout. Il reste que ce roman illustré est magistral (au sens propre), en plus d’être (pour la petite histoire) un bel objet éditorial.