À peine offerte la sidérante réussite de La trace de l’escargot, Benoît Bouthillette triomphe du risque de la récidive. Rares sont, dans le sport comme dans le champ littéraire, les recrues géniales qui échappent à la malédiction de la deuxième saison. D’emblée, le sort est ici conjuré et Bouthillette peut se concentrer sur le futur. Sa novella policière diffère pourtant du premier roman en ceci qu’elle mise avec plus d’ardeur sur l’écriture et le rythme de la pensée et moins sur les péripéties. Dimensions moindres, raréfaction des dialogues, stroboscope des réflexions, débit torrentiel de l’écriture, avec un résultat magique : le texte parvient, comme peu d’œuvres savent le faire, à déferler au rythme pourtant insoutenable de la pensée. Le policier Benjamin Sioui, comme chacun d’entre nous, saute constamment d’une image à l’autre, du politique au goût de la pizza, du réflexe antipublicitaire au désir d’un bel épiderme, de la dégustation d’une note à la Miles Davis au vœu souverainiste… Cartésiens, s’abstenir. L’écriture de Bouthillette ajoute ainsi au souffle immense qui emportait La trace de l’escargot l’accélération qui hisse l’écriture au rythme et aux caprices de l’imagination. Benjamin Sioui n’est pas plus échevelé que la moyenne des humains, il nous devient frère par la trépidation de sa pensée et par une écriture qui la révèle sans la ralentir.
Résultat obtenu sans prise de conscience ? Certainement pas. Le désordre apparent ne saurait occulter le côté conscient et délibéré de l’approche. Citons un propos éclairant de l’enquêteur : « C’est que notre gars a pas pensé à l’intuition… Y’a pas pensé que c’est à force de traîner n’importe où, qu’on finirait par trouver… […] Que c’est en s’éloignant apparemment le plus du sujet qu’on finit parfois par trouver l’angle de vue au bout duquel il apparaît ». Méticuleux jusque dans leur commun négligé, c’est en pleine attention à leurs féconds (et trompeurs) abandons que l’auteur écrit et que l’enquêteur se laisse imprégner. À preuve, des commentaires comme celui-ci : « […] j’hésite à employer les deux points parce que ma pensée ne procède pas de la sorte ». Du souffle. Une agilité sans pareille. Une authenticité encore rugueuse, mais qui promet de combiner tantôt la fidélité à la vie et l’élégance littéraire.