Cette œuvre dite « inachevée » – considérée comme le tout premier roman d’Albert Camus – est à situer entre L’envers et l’endroit (Charlot, 1937) et ce beau recueil qu’est Noces (Charlot, 1939) célébrant les merveilles de la nature en symbiose avec l’aventure humaine. La « voie » de Camus est ainsi choisie : ce sera celle de l’écriture. On sait, à cet effet, qu’il avait écrit quelque part dans ses Carnets : « Je sais maintenant que je vais écrire… Il me faut témoigner ». On connaît la portée de ce témoignage qui allie de manière inédite le lyrisme et le tragique. La littérature pourra ‘ selon lui ‘ « parler de tout ».
C’est en 1937 que Camus amorce La mort heureuse qui demeurera à l’état de manuscrit jusqu’à sa publication posthume en 1971 chez Gallimard, car Camus n’a pas désiré publier ce roman de son vivant. On a dit de cette œuvre qu’elle représentait l’ébauche de L’étranger (Gallimard, 1942). On constate, en effet, que les deux romans portent, à la fois, le sens de la mort et celui de l’absurde dans un univers illuminé par le soleil.
Dans La mort heureuse, le héros se nomme Mersault : contraction de « mer » et de « soleil ». Il aura en commun avec le Meursault de L’étranger le goût de la liberté, une indifférence à la société alliés à une absence d’ambitions. L’hédonisme de Noces y est également présent, surtout en deuxième partie : la forte présence du soleil, les bains de mer et l’érotisme. Le lieu presque mythique de Tipasa est, aussi, évoqué. La proximité de l’amour et de la mort, la quête du bonheur comptent pour beaucoup dans l’univers de ce roman. Le protagoniste y affronte l’absurde dans la triste banalité d’un quotidien où la pauvreté ne sera pas étrangère aux actes posés. Et disons que l’étrangeté du monde, la solitude l’accompagnant dominent l’espoir d’un possible bonheur. Curieusement, les zones d’ombre propres à l’humain sont constamment imprégnées de luminosité… Mais c’est une lumière absurde ne révélant en aucune façon l’essence de notre présence au monde.
L’œuvre à venir de Camus émerge d’un premier roman qui semble – de prime abord – manquer de cohésion, de rigueur, tout en nous offrant, cependant, de beaux sinon de fulgurants moments de littérature comme seul Camus a pu nous en donner.