Que reste-t-il quand les restes nous assaillent ? Cette question, en forme de boutade bien sûr, ouvre à la thématique du rapport entre des (mi)lieux – réels, imaginaires ou virtuels –, des temporalités, des corps, des langues et des savoirs dont la complexité est devenue telle que leur saisie ne semble désormais possible que dans des espaces technologiques transformant tout en commodité et reléguant l’expérience humaine à la légende, au mythe. Jamais dans l’histoire de l’humanité nous n’avons plus stocké d’information, jamais nous n’avons formulé de projets plus grandioses (pensons à la cartographie du génome humain), jamais nos capacités de simulation n’ont produit autant d’effets en ce qui a trait à la production et à la résistance et n’ont permis autant de génocides culturels. Qu’advient-il alors du surgissement de l’oubli ?
C’est au cœur de la circulation dense des économies, des continents et des humains que plongent les textes de l’ouvrage qui reprend l’essentiel d’un colloque international tenu en mars 1995 à la Maison de la culture Côte-des-Neiges, à Montréal. Parmi tous les termes qui cimentent la réflexion, je ne peux pas ne pas retenir celui de traumatisme, auquel les auteurs de la préface, reprenant Shoshana Felman reprenant Elie Wiesel, associent le témoignage en tant que voie d’accès royale aux événements de notre monde. Une fois mis en lumière le trauma considéré comme devenir, alliance des symbioses, appel de la meute, mise en jeu des plaies, c’est toute la vaste discussion sur l’éthique et la responsabilité qui ressort inévitablement. Que se passe-t-il quand le spectacle de la vérité n’est plus que divertissement télévisuel ou sème fonctionnel d’une justice fabricatrice d’énoncés qui n’ont aucun rapport avec les faits ? Est-il encore pensable de faire tranquillement de la mémoire un espace communautaire, ou s’est-elle enfuie dans les replis d’une histoire perdue dans notre « petit technique » ?
Il y va de la matérialité même des sociétés que nous habitons tant bien que mal, à distance, incertains de ce qui leur adviendra. Intervient dans ce contexte la nécessité de recourir à la notion de « déchet ». Mais plutôt que de s’en tenir au sauvetage des phénomènes, c’est au recyclage culturel des mémoires transverses que s’attardent plusieurs essais pour ensuite analyser les facteurs d’authenticité et d’identité qui les composent ; cette interrogation, théorique d’abord, se porte sur l’histoire concrète de la gigantesque dévastation de notre siècle par la suite, histoire dont le rhizome scintillant de noir se prononce Shoah.