Marguerite Andersen écrit le plus souvent à partir d’elle. Dans la plupart de ses livres, elle brode autour de sa vie et de celles de ses proches, comme dans La vie devant elles (2011), mais il lui arrive aussi de transposer – fort joliment d’ailleurs – son vécu comme dans Parallèles (2004). La mauvaise mère est plus directement autobiographique, tout en n’offrant qu’une vision partielle et partiale de sa vie : il s’agit de « confessions » qu’elle dédie d’ailleurs à Jean-Jacques Rousseau : « Mon texte, écrit-elle, mis au féminin, suit plus ou moins son exemple ». « J’ai besoin », explique-t-elle à son fils Michel dans « Pourquoi », le texte qui ouvre l’ouvrage, « de confesser mes erreurs, mes regrets, d’y regarder de près ».
Et la vieille dame (après tout, elle est née en 1924 en Allemagne) de se lancer dans un texte constitué de plus de quatre-vingt-dix « chapitres », tous titrés, de deux à trois pages, écrits avec cette fluidité narrative qui fait tout le charme de ses œuvres, quelque part entre prose et vers.
La « confession » s’ouvre sur sa première grossesse alors que l’Allemagne est occupée par les Alliés, tôt suivie d’un mariage obligé avec Jean, ce militaire pied-noir qui ne rêve que de retourner à Tunis avec sa jeune femme allemande une fois démobilisé. Nous sommes en 1946. Elle a 22 ans. Et déjà elle se sent « mauvaise mère ». De Jean, elle aura deux garçons, Martin et Michel. Un mari violent, une jeune femme démunie et bientôt la séparation. C’est la décolonisation et l’exil des pieds-noirs en France. Marguerite retourne à Berlin et c’est le début d’une errance qui la mène au Canada, en Éthiopie, aux États-Unis et finalement au Canada. Et un second mari, Amédée, de qui elle a une fille, Marianne.
Ce regard sur sa vie met en relief ses « erreurs », ses « regrets » qui sont en fait les aléas de la vie. « Avant de fermer les yeux pour de bon, comme on dit », elle s’en confesse à ses enfants et à sa descendance (sept petits-enfants et sept arrière-petits-enfants, « pour le moment », précise-t-elle), tout en doutant qu’ils liront son texte, elle-même n’ayant lu les romans de son père qu’après sa mort.
Mais ses « fautes » n’ont été que sa façon de faire face à la vie alors qu’elle luttait pour s’affirmer affectivement et intellectuellement, pour se donner une formation, pour assurer sa survie et celle de ses enfants.
La mauvaise mère est une quête de sens nourrie d’évocations d’émotions, de troubles qui s’incarnent dans des anecdotes révélatrices des états d’âme de l’auteure. Elle ne triche pas, elle est là, entière, généreuse dans le partage, riche de sa vie qui, finalement, est celle d’une femme qui est aussi une mère, mais pas seulement une mère, ce qui rappelle le titre de son premier ouvrage, un collectif qu’elle a dirigé, Mother Was not a Person (1972). Là est le secret de cette confession : Marguerite est femme avant tout.