Il ne s’agit pas seulement d’une bonne idée, mais d’un geste urgent. Que les libraires sachent en quelle estime les auteurs les tiennent ; que le public sente que le livre ne lui parvient dans sa beauté et sa polyvalence que si les libraires sont là.
Les textes, exception faite des quelques-uns où l’auteur scrute son nombril au lieu de traiter du sujet, suivent deux axes : celui de l’amitié reconnaissante ; celui de l’inquiétude. Presque tous les auteurs évoquent non les librairies, mais un libraire unique, irremplaçable, ami plus que commerçant. Plusieurs avouent avoir dérobé des livres à des libraires présumés myopes, mais c’est pour s’incliner un instant plus loin devant la clairvoyance et la mansuétude de ces portiers du rêve : ils avaient vu les larcins, mais ils les pardonnaient dès que le jeune voleur se révélait bon lecteur.
L’inquiétude, malheureusement, affleure fréquemment dans cet hommage aux libraires. Louis Caron a beau promettre qu’il ne se tirera pas dans le pied en trahissant son libraire au profit d’un quelconque Club Price, il sait bien que beaucoup valorisent davantage leur dollar d’économie que le foisonnement de la littérature. D’autres, moins explicites ou plus résignés, manifestent à regret la même lucidité : le libraire est menacé par l’inculture des grandes surfaces et l’amétropie de certains éditeurs. Un peu plus et cet hommage aux libraires aurait pris l’allure d’un éloge funèbre. Cela aurait quand même été nettement prématuré !