Le roman du Torontois d’origine béninoise, Ryad Assani-Razaki, lauréat du prix Robert-Cliche attribué à un premier roman, s’est avéré l’un des meilleurs de la rentrée littéraire de l’automne dernier. L’auteur y montre la marche du « […] destin qui engendre la malchance, / [de] ceux qui parce que mal nés, subissent une vie de malmenés […]» [extrait du poème « Je porte un toast », dans le blogue de l’auteur].
Le premier chapitre nous plonge dans l’effroi : Toumani remonte à l’époque de ses 6 ans alors que son père vient de le vendre à une trafiquante d’enfants, pour une somme équivalant à 23 euros. Après avoir subi les pires atrocités chez l’alcoolique M. Bia, il sera sauvé de justesse par un jeune garçon, Iman, mais non sans en garder des séquelles. Voyeurisme et misérabilisme, direz-vous ? Non pas. Lucidité et humanité donnent le ton, loin du pathos.
Les personnages évoluent dans un bidonville jouxtant la capitale d’un pays d’Afrique noire. Cinq narrateurs se succèdent et s’entrecroisent, leurs récits totalisant onze chapitres. La marche implacable du destin prend racine dans l’ICI, titre et dernier mot du premier chapitre, pour sombrer dans l’ ILLUSION, titre et dernier mot du roman, la dernière lettre de chacun des onze titres formant le mot IMMIGRATION.
Le destin du bidonville, c’est la descente aux enfers des enfants vendus et exploités de l’ icI, ou la voie de l’IslaM qu’emprunte la grand-mère Hadja, déconnectée du monde. C’est aussi l’égocentrisme de Zainab au cœur d’iridiuM qui se laisse éblouir par la Mercedes et la maison luxueuse d’un quinquagénaire européen. Son « parcours vers le bonheur avait été infléchI », d’expliquer l’un des personnages, nommé Désiré.
Assini-Razaki traduit les tiraillements de l’âme humaine. Ainsi, l’amour fraternel et profond de Toumani pour Iman ne serait que la pointe de l’iceberG au–dessous duquel grondent des eaux noires. Après Anna, l’Européenne en vacances, qui a nourri le rêve d’Iman de partir ailleurs, pour ensuite lui écrire l’impossibilité de leur amour qui, s’excuse-t-elle, « n’était pas impuR », arrive Alissa, jadis enfant vendue elle aussi et qui, par amour, allège son maigre bagage, « ses impedimentA », qui lui aurait pourtant permis d’accéder à une vie décente. Tandis que Toumani, incapable de s’affirmer face à Iman, le qualifie intérieurement d’ingraT, tout en reportant sa colère sur Alissa, « accablée par une tristesse d’un poids infinI ». L’image des cuisses noires d’Alissa maculées de sang « si sombre, bleuâtre, presque indigO » restera imprégnée dans l’imagination de Toumani qui s’enfonce dans les affres de la culpabilité. Partir, s’extirper de l’enfer, ne cesse de désirer Iman. Et si l’immigration n’était qu’illusioN ?
Roman bouleversant par l’impression d’inexorabilité qui colle aux pas des plus que démunis. Écriture sensible d’un écrivain des plus prometteurs.