Plus de vingt-cinq ans après la disparition de Pier Paolo Pasolini (1922-1975), la publication d’inédits de l’auteur nous réserve plusieurs bonnes surprises, comme la réédition de ce merveilleux journal de voyage, intitulé La longue route de sable (La lunga strada di sabbia), qui confirme une fois de plus le statut indéniable que plusieurs – dont Alberto Moravia – lui reconnaissent : il fut le plus important poète italien du vingtième siècle.
Ce journal, rédigé durant l’été 1959, alors que Pier Paolo Pasolini parcourait les plages d’Italie, du nord au sud, de la frontière française jusqu’aux limites de la Yougoslavie, relate une série de rencontres dues au hasard. Les observations sont lumineuses et l’écriture dénote une sensibilité à vif. Nous sommes loin du simple carnet intime ou du récit de voyage proprement dit. Ici, les descriptions de lieux ou le portrait des gens rencontrés deviennent décors et personnages de romans ou de scénarios. L’écrivain réussit à transfigurer le réel, à transformer en littérature la plus banale des situations, l’événement le plus prosaïque. L’écriture atteint souvent des moments de plénitude et de grande éloquence. Comparés à cet auteur, des « spécialistes » du roman de l’errance – comme Jack Kerouac ou Allen Ginsberg, pour ne citer que les plus populaires – me semblent bien pâles et assez innocents.
En lisant La longue route de sable, on repense à la prose fougueuse et directe de ses premiers romans (Une vie violente), ou encore à l’ardeur de certains de ses scénarios inédits publiés en 1980 (Saint Paul, ou encore Le Père sauvage). Je frissonne en lisant les impressions de l’auteur, de passage sur la plage d’Ostie, non loin de Rome, où il devait trouver la mort en novembre 1975, dans des circonstances tragiques : « J’arrive à Ostie sous un orage bleu comme la mort », écrivait-il. C’était en 1959.