Depuis cinquante ans, Gilles Marcotte est un critique avisé et imposant de la littérature québécoise. Il a orienté le corpus, l’a compris, il en connaît les acteurs importants, tout en ayant pratiqué à l’université et dans des périodiques à grand tirage une critique pertinente par l’attention qu’elle accorde à l’intelligence des œuvres.
La littérature est inutile, son dernier recueil, rassemble des écrits épars sur la littérature québécoise, à la fois pour étudier des éléments singuliers de romans et de recueils de poésie du XXe siècle québécois (deux textes sur le XIXe siècle viennent clore l’ouvrage) souvent marquants afin d’en renouveler les perspectives, et pour dresser le portrait d’écrivains. Cette seconde tâche, qui prend plus d’importance à mesure que l’essai progresse, l’autorise à l’anecdote, aux confidences, lui qui a été au centre de l’institution durant tant d’années. Si ses écrivains fétiches sont encore ici salués (Hector de Saint-Denys Garneau, Réjean Ducharme, Anne Hébert), si ses amitiés ‘ et le rôle qu’elles jouent dans sa pratique ‘ n’ont jamais été cachées (Claude Hurtubise, Jean LeMoyne), il n’en demeure pas moins que son ouvrage est surtout l’accentuation d’un aspect de sa pensée dorénavant placé en évidence : la reconnaissance de la dimension spirituelle propre à l’écriture. Ses essais et ses portraits saluent et explicitent la démarche spirituelle des auteurs avec lesquels il se sent des affinités, ce qui fait en sorte que des œuvres oubliées comme celles de Claire de Lamirande et de Berthelot Brunet sont ainsi exhaussées à cause d’une tension entre le monde et la foi. Ce parti pris, justifiable en soi, m’apparaît problématique dans la mesure où il devient un étalon pour déterminer la réussite des œuvres.
Cet agacement qui est mien à la lecture de l’essai de Marcotte provient également des piques, des jugements péremptoires et dédaigneux portés contre la jeunesse jaugée à ses manquements historiques, ce qui promeut, sous le signe d’une ouverture à toutes les voies possibles du littéraire, une vision moins large qu’elle en a l’air. Si j’ai toujours trouvé que le critique, que ce soit dans Littérature et circonstances, Une littérature qui se fait ou Le roman à l’imparfait, avait une vision du littéraire un peu en porte-à-faux avec la mienne, il me semblait néanmoins que sa perspicacité de lecteur me stimulait constamment, grâce à sa manière habile de signaler des recoins que je n’avais pas entrevus des œuvres commentées. Or, dans La littérature est inutile, rares sont les moments où le voile est levé ; nombre de textes, courts, anecdotiques, louangeurs par moments, manquent de cette profondeur de vue qui faisait le mérite de ses essais antérieurs.